Krystian Lupa – Metteur en scène de Perturbation

perturbations                                                                                 Cette saison, le Théâtre de la Colline présente deux pièces de Thomas Bernhard, Perturbation et Des arbres à abattre. Hasard ou ligne conductrice?
Pour moi c’est difficile d’en juger car je ne participe pas au spectacle Des arbres à abattre. Si cette pièce n’avait pas été montée par d’autres, peut-être aurais-je eu envie de la choisir. Lorsque je parlais avec René Gonzalez sur son lit de mort, nous parlions à la fois Des arbres à abattre et de Perturbation. Avec ces deux pièces, j’observe une reconnaissance, une seconde vague de Thomas Bernhard sur le plateau de Théâtre et au niveau de la lecture, dans sa réédition.

Dans Des arbres à abattre, il y a le monologue de Claude Duparfait, immobile. Dans Perturbation, il y a également un long monologue de Saurau. Comment le traitez-vous?
Bernhard, c’est le monologue, il est très présent dans toute sa littérature et ses personnages « monologuent ». Je suis un admirateur du monologue. Le théâtre est une sorte de bourgeon et de fleurissement de la possibilité du monologue de l’homme. Lorsque je vois Des arbres à abattre, je vois non seulement la personne en train de faire son monologue mais surtout des dialogues. Je ne vois pas qu’un seul personnage qui parlerait en continu sur le plateau, dans ce cas je préfère lire le texte pour enrichir mon imagination. Il y a donc le monologue de Saurau qui n’entend pas juste le bruit qu’il a dans la tête mais qui le visualise. C’est pour amener les spectateurs à cette vision intérieure que je fais du théâtre.

Je sais que vous aimez laisser beaucoup de liberté aux comédiens. Comment s’est déroulé le travail de réécriture?
La première étape était la lecture très pénétrante du texte de Bernhard qui permettait aux comédienx de s’en nourrir. Ainsi, le personnage se provoquait et les acteurs répondaient à cette provocation avec leur monologue intérieur, qu’ils écrivaient par la suite. Les acteurs personnages, répondaient aux attaques de Bernhard, ce qui influençait les personnages qu’ils créaient. J’ai voulu que le personnage rentre en dialogue avec le monologue du Prince. Si les filles et les sœurs existent seulement par le biais du monologue du Prince, dans sa vision subjective, sa perspective égocentrique, nous avons agrandi les improvisations pour les filles ce qui créait un revers, le côté sombre de la lune.

Je pense à Lars Norén. L’état de crise, la représentation brute, non dissimulée d’une réalité est ce qui vous intéresse ?
Chez Norén, j’étais attiré par la représentation brutale, l’observation de sa réalité. La langue des personnages est extrême, en résultat des comportements des personnages sujets à l’humiliation. Ce qui m’a fasciné, c’est que Norén n’entreprend aucune intention moralisatrice. Il attaque la réalité. Bernhard propose aussi une vision brutale de la réalité, elle ne se contient pas seulement dans la langue ou dans des personnalités dégradées, on observe un certain chemin de croix où le personnage, les malades, sont des cas de crise de la condition humaine. Le narrateur, en observant le chemin effectué par son père, n’est pas blindé par la routine professionnelle et voit alors beaucoup plus que son père médecin. Ce chemin magique qu’ils suivent tous les deux, les amènent au château dans lequel vit Saurau le Prince fou. Cette contrée est un pays ou la génération européenne est en train de mourir.

Dans votre travail, je suis marquée par cette nécessité pour les personnages de conserver leur liberté.
Je pense que le manque ou le désir de la liberté, tendre vers la liberté résulte du manque de cette liberté. Même si on en parle souvent, on se prive de la liberté. Le fait que nous nous concentrons sur l’aspiration du personnage vers la liberté, est aussi une manière de donner aux acteurs une liberté dans la création de leurs personnages. Si l’acteur joue un caractère, c’est une prison.

Quelle est votre vision du théâtre en Pologne?
Je pense qu’en ce moment le théâtre en Pologne est dans une période très bizarre. Durant les dix dernières années, des personnalités très intéressantes sont apparues et nous avons derrière nous une éruption d’un nouveau théâtre qui est très en conflit avec le théâtre traditionnel. Actuellement, la politique désespérante créait un vide dans ce processus d’éruption. Les Théâtres émergents sont liquidés, sinon la direction change et le successeur décide de valoriser le commerce, la privatisation. Même à Varsovie, nous sentons qu’un désert est apparu. Il reste seulement deux Théâtres dont celui de Warlikowski, qui malheureusement a tellement peu d’argent qu’il ne peut que créer ses propres spectacles. Warlikowski rêverait que nous travaillons ensemble pourtant.

Quant à votre vision du théâtre en France?
C’est difficile d’en parler de manière responsable car il me manque du temps pour aller voir des spectacles français. J’arrive à peine à être dans mes devoirs de metteur en scène. Après mes deux rencontres avec des comédiens français, jeunes et moins jeunes, je suis impressionné par leur ouverture d’esprit et leur désir de trouver quelque chose pour soi, par cette recherche, par l’investissement qu’ils ont engagé dans ce travail.

En France, il y a énormément de metteurs en scène étrangers à succès. Vu de l’extérieur, le théâtre français a-t ‘il réellement un potentiel qui lui est propre?
En France, dans les années qui vont suivre, beaucoup de choses vont se produire. Je rencontre beaucoup de jeunes metteurs en scène français intéressants et très conscients qu’il ne faut pas continuer dans le traditionnel qui est mort. Du point de vue social, politique et culturel, en France, il se passe quelque chose d’intéressant. Si j’observe ce qu’il se passait il y a dix ans, nous remarquons une fermentation, quelque chose d’inquiétant et de dangereux qui arrive. C’est une vague qui est présente dans toute l’Europe. On disait à une certaine époque que l’Allemagne était un symbole de la révolution théâtrale, ce qui s’est vite transformé en une sorte de manière insupportable. Mais actuellement, en regardant un spectacle allemand, je n’apprends rien sur l’homme.

Y-aurait ‘il un pays exemplaire pour le théâtre ou est-ce un mélange?
Moi je pensais que c’était la Pologne, mais justement j’ai l’impression que c’est tombé à l’eau.

Vous parliez de Warlikowski. Etes-vous tenté par le Festival d’Avignon?
Je n’ai pas beaucoup de chance avec le Festival d’Avignon. Il y a quelques années, quand Vincent Baudriller a commencé sa direction, j’ai été invité avec le spectacle Relations de Claire de Dea Loher en 2003, mais c’était l’année de grève des intermittents du spectacle. Ensuite, Baudriller voulait absolument inviter Factory 2, mais ce spectacle coutait trop d’argent pour le Festival. Comme d’habitude, Paris dépassait le Festival d’Avignon dans ses demandes. Je préférais montrer mes spectacles à Paris.

Quels sont vos prochains projets?
Justement, ce sera Des arbres à abattre. Il ne s’agira pas d’un monologue, mais j’aimerais bien que ce soit une bombe installée, qui éclate en Pologne, car ce texte parle de la situation culturelle actuelle de mon pays.

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

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