Fidèle à des mises en scènes contemporaines, élégantes et épurées, dans une idée d’exploitation des matériaux bruts, comme dans Les Bonnes à l ‘Athénée, Jacques Vincey nous présente son adaptation de La vie est un rêve au Théâtre 71.
Au cœur d’une royauté polonaise, s’immisce la remise en question d’un monde comme possibilité d’illusion totale. Interrogation sur la réalité à travers le sens que lui donnent les hommes et leurs croyances, cette pièce brouille les codes et interroge sur la valeur de nos perceptions et de nos chimères.
Cet univers oscille alors entre cachot glacial, espace bestial et cour déserte démunie de parfums et de profondeurs. Ce choix d’une scénographie très épurée, sans aucun élément de décor, hormis des plaques de murs en fer, parsemées de lampes, ne rappelle aucune réalité familière et induit une ambiguïté sur le lieu. Se dessine un espace temporel flou, dénué de marques d’attachement et d’humanité. Les hommes ne peuvent pas laisser de traces dans une sphère qui n’est pas définie car peut-être illusoire. Cet espace n’est-il que mirage ? Le reflet d’une malheureuse réalité à laquelle personne ne s’attache ? Ce décor, où s’enchaînent les scènes à un rythme assez soutenu, de par le dynamisme des comédiens, installe le trouble entre songe et réalité.
De plus, la dimension onirique étant représentée à travers Sigismond, qui rêve l’autre ? De quelles preuves ces personnages disposent-ils pour affirmer qu’ils ne rêvent pas leur monde ? Chacun l’invente à sa façon et selon ses désirs. Le Roi Basile, désire tester son fils, trop longtemps enfermé, réduit à l’état de bête troublée et dépourvue de repères, sans notion de toute forme de réalité et de vérité. Il souhaite mettre à l’épreuve l’homme reclus depuis toujours, en le réintégrant dans le monde extérieur, ici, à la cour, à sa place de Prince, en lui offrant les pleins pouvoirs. Il passe du rien au tout. Par cette expérience, au-delà du besoin d’éprouver sa crédulité et sa force imaginative, il l’enferme dans un dilemme en le confrontant à l’inconnu et à l’inespéré. Objet d’une expérimentation, il exploite ses limites en le maintenant dans l’idée que « peut-être es-tu en train de rêver ». Du fauve dépossédé de tout « Moi » intérieur, de toute conscience d’autrui, Sigismond se dirige vers le statut d’homme. Les « Je vois, donc je suis », ou « Je crois, donc je suis », ne suffiront cependant pas à lui garantir la véracité de ce qu’il vit hors de son cachot. Partagé entre l’idée de vie, de mort, de rêve et de réalité, la seule solution qu’il trouve est de se maîtriser, lui, afin de mieux contrôler son rêve, s’il en est un, et de le prolonger.
L’aspiration au bonheur et la naissance des sentiments suscités par les femmes laisseront des traces au cours de son passage à la Cour, grande Scène de la Vie. Peut-être est-ce, alors, ces traces d’attachement et d’espoir passés qui le poussent à accepter le rêve et la réalité, quels qu’ils soient.
La brillante interprétation de Sigismond par Antoine Kahan éclaire et met en valeur cette ambiguïté constante, tout au long de la pièce. Incontrôlable, éperdument seul, mais doté de capacités analytiques, il offre à cette bête princière une personnalité torturée et un visage humain. Les comédiens qui l’accompagnent ont tous une énergie très juste mais parfois peu dirigée vers cette ambivalence entre rêve et réalité. La mise en scène aurait également pu davantage pousser ce paradoxe afin que, même le spectateur, on ne sache plus ce qu’il en est. Bien que recherchée, la mise en scène de Jacques Vincey instaure une forme de concret qui ne tend pas assez à l’interrogation qui ne reste illustrée et évoquée que grâce au texte et au pouvoir des mots.
Théâtre 71
La vie est un rêve, texte de Pedro Calderòn de la Barca mise en scène de Jacques Vincey
Avec Florent Dorin, Philippe Duclos, Noémie Dujardin, Antoine Kahan, Alexandre Lecroc, Estelle Meyer, Philippe Morier-Genoud, Renaud Triffault et Philippe Vieux
Du 15 Janvier au 2 Février 2013