Partagé entre dure réalité et rêverie pleine d’espoir, Liliom, de Ferenc Molnàr, tente de réinterpréter le langage. Malgré une vie à deux, Liliom et Julie s’aiment mais ne se l’avoueront jamais. S’épancher sur ses sentiments, exprimer ses émotions sont des faiblesses bannies de ce monde ambulant dans lequel les êtres s’expriment différemment. Anti-héros, handicapés du cœur, leur logique d’attachement à l’autre passe par la violence et l’explosion. Aimer, c’est frapper et recevoir des coups indolores; aimer, c’est crier mais aussi accepter l’autre et rester. Comment parvenir à échapper au quotidien d’une misère établie et primitive ?
Marginalisés, reclus dans leur prison foraine, ils tentent pourtant de rester liés les uns aux autres. Malheureusement, cette idée de contraste entre la réalité de leurs sentiments et la violence avec laquelle ils l’expriment n’est pas assez mise en avant. Les personnages, surtout Liliom, semblent évoluer en eaux troubles, mais la lutte intérieure n’est pas assez marquée. La mise en scène de Galin Stoev est dénuée de profondeur humaine, de sensibilité et de tiraillements, ce qui installe le spectateur en retrait, hermétique à ce qui se déroule sous ses yeux.
Pourtant, sur le plateau du Théâtre de la Colline, Christophe Grégoire porte brillamment, à bout de souffle, avec hargne et sueur ce bonimenteur dévoré par ses responsabilités naissantes, incapable de s’ouvrir et de se livrer à Julie, celle qui porte son enfant. Quant à cette femme forte mais silencieuse, elle est justement interprétée par Marie-Ève Perron mais manque d’ambivalence et de caractère, ce qui, parfois, la rend un peu fade et terne. On lui retrouve, pourtant, cette sagesse et ce mystère propres à ses interprétations pour Wajdi Mouawad.
La dynamique, quant à elle, reste inchangée tout au long de la pièce même à ce moment clef où la réalité misérable bascule dans un onirisme raccordé au jugement dernier, l’irrationnel n’est pas assez exploité et les personnages s’installent dans une atmosphère sans surprises, parfois gâchée par un décor décousu. Reste Anna Cervinka qui offre cette touche d’humour et de légèreté qui crée véritablement un décalage. Bien que satisfaite de sa condition, elle apporte de la couleur et de la vie à ce paysage parfois éteint mais dont la sécheresse nous interroge sur le geste d’amour.
Liliom, écrit par Ferenc Molnár et mis en scène par Galin Stoev
Avec Yoann Blanc, Anna Cervinka, Romain Dierckx, Christophe Grégoire, Christophe Montenez, Céline Ohrel, Marie-Christine Orry, Marie-Ève Perron, François Prodhomme
Jusqu’au 4 avril
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