Dans sa note d’intention pour Sœurs, Wajdi Mouawad nous dépeint une profondeur bouleversante et une remise en question de cette femme confrontée soudainement au vide de son existence. Coincée par la neige dans une chambre d’hôtel, plus que moderne, en plein Ottawa, elle fait le bilan de ce qui n’est jamais advenu. Quelles traces a-t ‘elle laissée? Qu’a-t-elle construit et qui est-elle réellement? Une force tranquille sans cesse au service de l’humanité peut dissimuler une tempête, un chaos prêt à tout faire exploser.
Malheureusement, face à ce trouble plus matériel et scénique, que psychologique et intérieur, des questionnements s’installent et nous restons hermétiques à cette forme anecdotique qui se déroule sur le plateau du théâtre de Chaillot. Les actions s’enchaînent de manière éparpillées et illogiques, avec des instants suspendus et poétiques, mais rapidement noyés dans une atmosphère curieuse et instable. L’humour règne souvent mais fait retomber les tentatives de percées lyriques et dénature les silences qui pourraient en dire long. (C)Pascal Gely Une instabilité intéressante car relative au chaos de Geneviève Bergeron, cette femme empreinte à la solitude et à l’accumulation. Seulement, même si le plateau prend des airs de champs de bataille, même si cette chambre d’hôtel est saccagée et vandalisée au plus haut niveau, les émotions sont survolées et les sentiments paraissent dérisoires. Celle qui semble avoir ratée sa vie, cette médiatrice confrontée à son propre échec personnel reste touchante, car Annick Bergeron est une comédienne sensible et énergique, mais elle se situe parfois dans un effleurement trop prononcé, pas assez abouti ce qui décrédibilise son vacarme intérieur. Les propos font sens mais sont dissous par une forme de retenue, qui fait place à de l’inachèvement envahit par une lenteur qui dissimule l’intensité de cette violence féminine.
Néanmoins, même si nous ne venons pas au Théâtre pour être confrontés à un écran vidéo, parfois inutile et reflet de stéréotypes, la scénographie apparaît comme le point fort de cette création. Étonnamment, c’est peut-être même celle-ci qui valorise le mieux le malaise et l’isolement de cette femme. La vidéo intervient à la fois pour ressasser des souvenirs marquants qui la hantent, mais également de façon plus technique et stylisée. Elle permet d’agrandir l’espace et d’imaginer les pièces attenantes à cette chambre d’hôtel, tout en multipliant les personnages et les identités fictives. De plus, il ne s’agit pas de surfaces réalistes mais de croquis en noir et blanc dans lesquels se déplacent les véritables comédiennes. Ce choix innovant et surprenant, crée un décalage avec la réalité et renforce l’exil du personnage qui tente de se fondre dans une autre chimère. Le corps disparaît pour laisser place à l’image et à la voix, une parole moins intense que Wajdi Mouawad avait, pourtant, dans le passé, su valoriser jusqu’au choc émotionnel le plus ultime.
Soeurs, écrit et mis en scène par Wajdi Mouwad
Avec Annick Bergeron
Jusqu’au 19 avril 2015