Les voisins, de Michel Vinaver mis en scène par Marc Paquien

Partager une terrasse commune, être voisins et créer des liens inaltérables. Recomposer une famille dans laquelle les enfants se marieraient et les deux pères se jureraient une amitié sans faille. Cette situation et ce microcosme inspirent un auteur adepte de ces situations instables qui passent du meilleur au pire.

Choisir un texte de Michel Vinaver c’est marquer son attachement et son intérêt pour l’humain dans l’étude anthropologique d’une apparente routine. Dans « Les Voisins », Blason vit avec sa fille Alice, qui est amoureuse d’Ulysse, le fils de Laheu, le voisin d’en face. Tous les quatre forment un cocon dans lequel règnent la confiance, le respect et la gaieté. Ils célèbrent toutes les occasions avec du caviar et du champagne, du vin et des pommes au four. Quitte à finir par de la bière et du poulet froid dans des assiettes en plastique! Un matin, tout bascule. Blason se fait voler tous ses biens y compris les lingots d’or qu’il avait cachés. Il en vient à soupçonner ses seuls confidents. Jaillit alors toute la complexité du rapport à l’autre. Avatars de notre société, l’appât du gain et la vengeance se retrouvent au cœur de cette tempête.
Toute l’originalité et l’invraisemblance déstabilisante du texte se situent dans l’alternance d’atmosphères et dans une construction chaotique de l’histoire. Entre calme et tumulte, les personnages tentent de se contrôler et parviennent malgré tout à revenir à l’essentiel: un rapport à l’autre honnête et bienveillant.
L’ambiguïté persiste pourtant sur la scène du Théâtre de Poche Montparnasse. Un malaise volontaire créé par le délitement, entre fiction et réalité, du cocon initial. Les personnages sont scindés en deux groupes. D’un côté, les deux pères, ancrés dans une vérité et une préoccupation de l’instant; de l’autre, les deux enfants, figures d’un autre monde. Alice et Ulysse donnent à la pièce une note surprenante. Avant d’en faire des personnes, le metteur en scène souhaite leur faire incarner l’amour et la candeur. Visages intemporels, porteurs de la réalité de leur passion, ils sont le roc inébranlable de cette société qui doute. Ils se situent dans un ailleurs émotionnel et spirituel, mais également physique, marqué par leur position d’observateurs qui écoutent en fond de scène. Les personnages sont confrontés à l’inattendu d’un système qui les pervertit de plus en plus et déstabilise en permanence le spectateur.
Loïc Mobihan et Lionel Abelanski.

Loïc Mobihan et Lionel Abelanski.

 © Pascal Gely

Le metteur en scène Marc Paquien a opté pour un découpage très précis. L’unité temporelle est césurée. Chaque fin de scène est ponctuée musicalement alors que le jeu de lumière laisse apparaître les comédiens figés, prisonniers les uns des autres. Ces coupures violentes confrontent le spectateur à l’absurdité du monde.
Cela dit, malgré la haine, l’ironie ou la médisance, les liens et l’émotion reprennent toujours le dessus.
Ces rapports ambivalents sont portés par des comédiens aux caractères forts. Dans cette scénographie épurée tout repose sur eux et le grand espace de liberté qui leur est laissé.
Patrick Catalifo, en grand acteur qui donne à penser par ses seules expressions corporelles, époustoufle par son charisme et la construction parfaitement réussie du rôle : démarche brinquebalante, attitudes, tête baissée, regard hagard, rapport à l’alcool, nuances de tons. Il est crédible d’un bout à l’autre de la pièce. À ses côtés, Lionel Abelanski, en bon Laheu, bienveillant et simple, à qui le vice et le désir de vengeance feront perdre l’esprit. Les deux enfants, Alice Berger et Loïc Mobihan, incarnent une évanescence, une liberté naïve qui dissimulent parfois l’autisme du fils qui, à trop vouloir se couper du réel, s’y confrontera de la manière la plus tragique qui soit.

Les Voisins – texte:  Michel Vinaver – mise en scène: Marc Paquien
avec Lionel Abelanski, Alice Berger, Patrick Catalifo et Loïc Mobihan
Paris – Théâtre de Poche Montparnasse, jusqu’au 24 janvier 2016

 

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