Kings of War, d’après Shakespeare par Ivo van Hove

 

« Le Royal Shakespeare sous le joug du King des planches »

Après une adaptation convaincante d' »Antigone » et de « Vu du Pont », avec « Kings of War », Ivo van Hove, poursuit sa fulgurante ascension et confirme son talent de metteur en scène.

Pour une première en France, c’est au Théâtre de Chaillot qu’il nous présente son « Kings of War ». Une création en Néerlandais, balayant en 4h30, les règnes d’Henri V, Henri VI et Richard III. Trois rois qui questionnent sur la gestion du pouvoir à travers les conflits d’intérêts et les guerres. Le désir premier étant de mettre en valeur l’avidité à gouverner et l’évolution de ces trois hommes. Une évolution marquante et évocatrice car la situation dégénère au fil des années. Henri V apparaît comme un conquérant et un roi loyal qui rend hommage à son défunt père en perpétuant ses victoires. Il représente le roi mature et stable, en pleine maitrise du royaume d’Angleterre. Henri VI, son fils, lui succède, forcé. Roi désemparé et dénué de charisme politique, il est incapable de s’affirmer. Devenant l’objet de toutes les manipulations, il se retirera du trône sans esclandre ni combat. Il laissera alors sa place aux York et à Edouard IV et ses frères dont Richard III. Richard III, un homme obsédé par la couronne d’Angleterre. Un monstre au corps difforme, qui assassinera sans scrupules tous ceux qui l’entourent pour parvenir à ses fins. La démesure le gagne et il s’imagine déjà roi, faisant payer à tous, le prix de son injustice physique.

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Photo: Jan Versweyveld

Ivo van Hove a su rendre cette vaste et complexe épopée historique, limpide et claire. Il la place en résonnance, en miroir de notre époque et des dirigeants politiques de notre monde. Des hommes et des femmes de pouvoir, davantage préoccupés par la domination et la puissance que par la conscience collective. Cette fenêtre ouverte sur notre actualité est retranscrite dans la mise en scène et dans l’inventif usage de la vidéo, un outil de dénonciation.

Le dispositif scénique s’étend au-delà du plateau et du visible. Des couloirs entourent la scène, figurants les coulisses dans lesquels se déroulent les pires horreurs et sont dissimulés les secrets. Tout ce mensonge est filmé comme des preuves de ce qu’on nous cache. Au Théâtre, l’abus de la vidéo peut être gênant car virtuel. Ici, tout est tourné en live, laissant apercevoir les caméras. Il s’agit de découvrir ce monde parallèle et de faire tomber les masques. De plus, la modernité s’exprime dans la scénographie avec des couloirs blancs, cliniques, sans âmes si ce n’est celles des morts ayant succombé aux étranglements et aux seringues. Les hommes sont en costumes cravates et les femmes en tenues récentes et élégantes. Ils manœuvrent aux rythmes d’une fanfare, d’un DJ et d’un contre-ténor, qui créaient un décalage avec le contexte historique du 17e et redonnent un nouveau souffle à Shakespeare.

Ce portrait croisé de trois grands leaders, est interprété par le Toneelgroep Amsterdam, un équivalent néerlandais de la Comédie-Française. Nous découvrons avec surprise une palette de caractères et de personnalités riches et surprenantes. Les rois se succèdent mais ne se ressemblent pas. Chacun se situe dans un rôle de composition abouti et crédible, autant dans la maîtrise du pouvoir, que dans la fébrilité et la folie. Les trois comédiens, visages et corps des trois monarques, sont époustouflants et savent attirer et maintenir sur eux tous les regards. Ramsey Nasr est un Henri V sûr de lui et charismatique. Une figure sérieuse et cohérente. Un souverain aux épaules solides et à la stature convaincante. Eelco Smits offre à Henri VI un habit de marionnette. Pantin naïf animé par la moralité et la religion. Trop faible pour occuper son trône avec prestance et poigne. La pièce atteint son apogée avec le somptueux Hans Kesting, un Richard III ambitieux et rancunier. Une bête féroce qui suscite la peur à travers ses massacres et ses élans de démences simulées.

Une réussite totale, une vraie leçon de théâtre!

 

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

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