Vania, d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov par Julie Deliquet au Théâtre du Vieux-Colombier

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L’impuissance et l’espoir qui se dégagent des personnages de Tchekhov ont toujours suscités en moi une vive émotion. Ces être sensibles, confrontés à l’usure du temps et à la fin d’un monde. Ils tentent malgré tout d’échapper à leur destin, en transgressant les règles et en osant, mais ils échouent et retournent, avec résignation, à la case départ. Confrontés à la fatalité d’un futur triste, la seule solution est d’attendre la fin, apaisante, en se noyant dans le travail, « Tu n’as pas connu de joies dans ta vie, Oncle Vania, mais patiente un peu, patiente…Nous nous reposerons Sonia».

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C’est ce portrait, cette société et sa chute, que Julie Deliquet met en scène avec Vania, d’après Oncle Vania, de Tchekhov, avec les sublimes comédiens du Français. Elle transforme la salle du Vieux-Colombier et propose un dispositif bifrontal, une manière de nous inclure au plus près de ce quotidien dont elle rend le propos universel en modifiant le texte. Témoins de tentatives et d’échecs, les spectateurs sont renvoyés à leur réalité actuelle, dans laquelle beaucoup d’espoirs se meurent aussi. À l’instar des personnages, nous sommes seuls, mais ensemble, dans ces rires et ces coups au cœur.

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La metteuse en scène Julie Deliquet, insuffle une forme de modernité modérée. Elle sait mettre en valeur avec goût et légèreté, l’humour de Tchekhov et ouvre à Stéphane Varupenne, Hervé Pierre et Laurent Stocker, un terrain de jeux divertissant et excitant. Tard dans la nuit, lorsque tout le monde s’est assoupi et qu’Alexandre Vladimirovitch Serebriakov a rangé son costume épatant et vigoureux de malade imaginaire, le vin laisse place à la vodka. Le piano s’endiable au rythme d’Ilia. Saouls, Vania et Mikhaïl Lvovitch Astrov, dansent et se tordent de rire. La peine et la grisaille disparaissent, laissant place à la chaleur et au plaisir de vivre enfin.

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La mise en scène est fluide, les scènes se succèdent avec aisance et naturel, nous donnant le sentiment d’être avec eux, dans ce salon, décor de toutes les humeurs. Nous percevons la nuit profonde, l’humidité provoquée par la pluie et ce vide profond, qui siège près de chacun d’entre eux. Après les rires plaisants, vient le chagrin. Face à Laurent Stocker, émouvant et sensible, les cœurs se serrent. Il a quitté son costume de Néron, paranoïaque et capricieux pour recouvrer le visage d’un Vania sincère et avide d’espérance. Un jeune homme amoureux et rejeté, dont l’aigreur provient de ne pas avoir su saisir sa chance, au bon moment. Les femmes, passent aussi par la renonciation. Un renoncement amoureux, qu’on leur impose ou qu’elles s’infligent. Elena Andreievna Serebriakova, accepte de laisser mourir sa jeunesse en suivant l’ombre conjointe, de la mort. Florence Viala se prête à merveille aux apparences de femme gaie et lucide. Un masque, qui une fois à terre, découvre des larmes, conscientes de passer à côté de leur existence. Maria, la plus âgée, semble la seule à se satisfaire de son sort, s’adonnant à ses habitudes quotidiennes, loin de tout tracas. Dominique Blanc apporte une pointe de tranquillité et de sagesse à cette atmosphère tangente. Il ne faut pourtant pas oublier, qu’à ses côtés, marche le fantôme de sa défunte fille. Quant à Sonia, sa douleur paraît plus intense que celle des autres, car elle relève du rejet et des privations qu’elle s’inflige. Elle est l’unique personnage conscient de leurs tristes destinées forcées. La seule qui sait qu’il n’y a pas d’échappatoire, pas de droit au bonheur. Malgré tout, Anna Cervinka s’y risquera et tentera de saisir sa chance, avec hésitation et maladresse. Elle incarne, au plus près, le trouble et l’exaltation, que cette jeune femme tente de retenir. Une excitation qui retombe aussitôt sous le poids de la réalité et de la condamnation à la solitude éternelle.

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