La Campagne, mis en scène par Sylvain Maurice au Théâtre du Rond-Point

Sylvain Maurice, le directeur du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines présente sa mise en scène de La Campagne, du dramaturge britannique Martin Crimp au Théâtre du Rond-Point. Une immersion dans un huis clos mêlant cruauté tranchante, violence intime et indicibles mystères.

 

Corinne et Richard, la quarantaine, ont quitté Londres pour une vie plus heureuse à la campagne. Ensemble, la femme au foyer et le médecin forment une parfaite image du bonheur. Elle se fissure à l’arrivée de Rebecca, une jeune femme que Richard dit avoir trouvée sur le bord de la route. C’est le soir. Rebecca est étendue, inconsciente dans une pièce de leur maison. Dans son sac, des seringues. Peu à peu, le récit se délite, le doute s’installe et la vérité apparaît, révélant le poids inexorable du passé et les turpitudes du désir amoureux. Cette jeune femme est-elle vraiment une inconnue ? Pourquoi le couple est-il partit s’installer loin de la ville ? Que veut donc Morris, cet homme qui appelle sans cesse mais qu’on n’entend ni ne voit jamais. À quoi ressemble les deux enfants du couple, qu’on évoque mais dont la présence est fantomatique ?

Monter du Martin Crimp c’est placer le spectateur dans une position de questionnements infinis. Aucune certitude, aucun principe. Tous les scénarios semblent possibles et chacun imagine sa version. On ne sait jamais si ce qui est dit fait foi de vérité. Il est impossible de cerner le véritable espace mental des personnages. Impossible de savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent sincèrement. Impossible de saisir la nature de leurs actes. Richard se drogue-t’il encore ? A t-il tué Rebecca ? Qu’est-il advenu, pour que deux mois après le chaos, le couple passe une soirée romantique, comme si la trahison n’était pas réelle et que rien n’avait changé ?

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« – Juste pour un après-midi.

-Quoi ? Oui. Je suis désolée si tout ça / paraît abrupte.

– Mais vous voulez dire quoi « juste un après-midi » ? Vous voulez dire quoi, « un homme qu’elle ne connaît pas » ? Vous êtes aveugle ou quoi ?

Vous êtes complètement aveugle ?

Et pourtant, vous êtes condescendante avec moi. Vous me faîtes la leçon. Avec votre maison, votre terre, vos enfants.

Et vous m’accusez moi, d’être sentencieuse ?

Juste pour un après-midi ?

Il est venu à la campagne pour être avec moi ?
Oui.
A cause de son envie d’être avec moi.

A cause de son insatiable désir d’être avec moi.

« Un homme qu’elle ne connaît pas » ? Comment pouvez-vous vous tromper à ce point ? Et ensuite me présenter des excuses – de sa part…(faible rire)…dans votre propre maison. » La Campagne, de Martin Crimp – L’Arche

 

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Là est toute la force de La Campagne, ce huis clos qui questionne le couple dans sa capacité à se mentir, à se voiler la face pour qu’une fusion caduc subsiste. Mentir à l’autre mais surtout se mentir à soi-même. Jouer le rôle du couple attendu, du quotidien parfait. Être dans le déni ou bien dans le pardon.

C’est cet espace mental que le metteur en scène Sylvain Maurice représente sur scène. Un plateau presque nu, sur lequel les personnages s’actionnent autour d’une longue table en bois, sur le rythme étrange de sonorités qui jaillissent de la nuit noire et qui renforcent l’état de tension. La banalité de certains dialogues quotidiens contribuent à l’atmosphère pesante. Le spectateur est en alerte constante, persuadé qu’un drame terrifiant se déroulera sous ses yeux. Mais l’épouvantable n’arrive pas ou bien il est encore une fois dissimulé. La lumière s’éteindra sur ce duo qui joue au jeu du couple infaillible mais suspect.

Les comédiens parviennent avec finesse à créer cet état de trouble. Isabelle Carré est une force tranquille, épouse méfiante et volubile qui traque le mensonge pour mieux le balayer. Yannick Choirat interprète ce mari énigmatique que rien ne semble atteindre. À leurs côtés, l’intrusion représentée par Rebecca est interprétée par Manon Clavel, la révélation de ce spectacle. Bordeline et féline, écorchée mais battante, provocante et meurtrie. Qui est-elle vraiment ?

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