Hedda, d’après Henrik Ibsen texte de Sébastien Monfé et Mira Goldwicht mis en scène par Aurore Fattier à L’Odéon-Théâtre de L’Europe

Avec sa nouvelle création Hedda à L’ Odéon – Théâtre de l’Europe, Aurore Fattier décline le personnage d’Hedda à travers plusieurs visages de femmes qui vivent selon leurs désirs. Multipliant les identités, les espaces et les non-dits elle créait un spectacle sur le fil du rasoir, dans lequel la réalité côtoie l’invisible et où le Théâtre apparaît comme une nécessité intime et collective.

Henrik Ibsen, grand auteur dramatique Norvégien apparaît comme un précurseur de son temps sur bien des sujets. Déterminisme social, évolution dans la société, liberté et bien sûr concernant la place des femmes et le rapport au patriarcat.

En 1879 il écrit Maison de poupée, une critique piquante des rôles traditionnels des femmes et des hommes dans le mariage. Une pièce jugée scandaleuse par la désertion de l’épouse du foyer conjugal qui laisse les enfants à son mari. Suivra Les Revenants, une pièce qui valorise les nuances et la complexité féminine. Puis Hedda Gabler en 1890, autre drame scandaleux, autre exemple percutant de femme émancipée. La figure emblématique d’un romantisme devenu impossible, la métaphore d’une époque révolue. 

Quand Hedda Gabler retrouve Lövborg, l’homme qu’elle a aimé et qui l’a abandonnée, tout son passé resurgit. Pour se venger, elle détruit le manuscrit qu’il vient de finir et qu’il considère comme l’œuvre de sa vie. De désespoir, Lövborg se suicide et Hedda prend alors conscience qu’elle n’a jamais pu oublier cet amour et qu’elle regrette son mariage médiocre et la vie inintéressante à laquelle elle s’est elle-même condamnée. Elle mettra fin à ses jours.

Une fois de plus, Ibsen met l’accent sur la vie quotidienne des femmes et la réalisation de soi. Il pointe les conséquences du sacrifice du désir et oppose une féminité conventionnelle à une féminité plus radicale. 

C’est à partir de ces axes que se construit Hedda, la variation contemporaine d’après Hedda Gabler, écrite par Sébastien Monfé et Mira Goldwicht et mis en scène par Aurore Fattier à L’Odéon-Ateliers Berthier. La metteuse en scène entreprend un travail pertinent, foisonnant et très intéressant qui entremêle les enjeux de la pièce d’Ibsen à une mise en abyme théâtrale plus contemporaine. Laure, une metteuse en scène et comédienne, monte Hedda Gabler, d’Ibsen avec une troupe de comédiens professionnels. Les répétitions sont bien entamées et le jour de la première approche. 

Le plateau est très réaliste : une cuisine, lieu de pauses communes, jouxtant les loges, plus intimes, des comédiens. Grâce à des caméras invisibles, les répétitions d’Hedda Gabler, qui se déroulent dans un espace caché, sont projetées sur un écran. Ce travail autour de la vidéo est particulièrement discret et bien mené. Très à propos l’image cinématographique contribue au développement des perspectives et créait une continuité, brouillant les pistes et les récits. Les acteurs font des allers-retours entre plusieurs espaces et plusieurs temporalités, mêlant des problématiques et révélant des enjeux communs troublants. Les secrets et les vérités se multiplient, les visages se dédoublent et tous les récits et les trajectoires intimes et collectives se confondent. Ne subsiste que la puissance magistrale du Théâtre qui détient le pouvoir d’ouvrir et de juxtaposer quantités de réalités. 

À l’instar d’Hedda Gabler, Laure Stjn qui finira par reprendre le rôle à sa comédienne principale qu’elle évince brutalement, est une femme paradoxale, énigmatique mais aussi très indépendante. Sinueuse et compliquée à cerner, elle multiplie les interprétations mais ne lâche jamais son objectif principal : le succès de sa pièce. 

Maud Wyler livre d’ailleurs une interprétation hypnotisante de ce personnage de Laure qui lutte pour conserver son espace de création et de liberté. Névrotique, parfois presque démoniaque, l’actrice intrigue et sème le doute. Aimée, détestée, incomprise, elle n’en reste pas moins magnétique et subjuguante. En union assez libre, elle élève la fille de sa défunte sœur et tient tête sans flancher au père menaçant de celle- ci. 

A ses côtés s’imposent d’autres visages d’une féminité émancipée. Kim la jeune mère équilibré et bosseuse, à la vie de famille épanouie. Irène la doyenne, une comédienne qui se plonge depuis des années dans des personnages qui l’habitent et l’animent autant que des enfants auraient pu le faire. Marie, la séductrice qui ose sans vergogne. Aurore Fattier mène une belle réflexion autour des générations de femmes dans toutes leurs complexités, leurs paradoxes et leurs soif d’être mais aussi dans toute leur puissance de création.

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