Qui devons-nous croire ? Woland, un mystérieux magicien qui ressuscite les manuscrits brûlés et affirme l’existence de Jésus ? L’œuvre du Maître qui retrace l’histoire du Christ et de Ponce Pilate ? Ivan, considéré comme fou parce qu’il dit avoir rencontré un chat qui parle ? Berlioz, qui refuse de croire en l’annonce de sa funeste destinée ? Marguerite qui se transforme en sorcière ? L’homme et sa crédulité face à la société de consommation ? Qu’est ce qui est bien ou mal ?
Tant de réflexions qui brouillent les limites entre la vérité et l’illusion. Car lorsque Igor Mendjisky et la Compagnie Les Sans Cou, adaptent Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov, tout devient possible. Sur la scène du Théâtre de la Tempête, soufflent des bourrasques qui détruisent toutes les frontières entre fiction et réalité.
Ce roman fleuve, d’une richesse folle, aurait pu rapidement perdre le spectateur dans un labyrinthe flou et incompréhensif. Le metteur en scène parvient à rendre cette épopée russe, moderne, claire et enivrante. L’œuvre semble allégée, fluide. L’équilibre entre les changements de scènes et les différentes parties est parfait. Les personnages, nombreux, ont tous une personnalité et une particularité, souvent vocale, bien définie. Les accents, l’Anglais, le Russe et l’Hébreu, nous entrainent vers d’autres horizons. Les temporalités se multiplient, mêlant les propos et les rendant universels. Partir dans le passé, pour mieux comprendre les enjeux du présent. Être témoin de l’Histoire et la tenir ou non pour gage de vérité. Le spectateur se laisse porter avec allégresse vers ces mondes mouvants, où tout est envisageable. Lui-même, placé dans un dispositif tri-frontal, est considérablement pris à partie pendant la représentation. De spectateur lucide et innocent, il devient l’acteur victime de toutes ces diableries.
En toile de fond, la place de l’artiste, de l’auteur est vivement questionnée. Un auteur confronté, à l’image de Mikhaïl Boulgakov, à la censure et à la persécution.
La scène du Théâtre de la Tempête vogue entre rêves et cauchemars. Elle prend des airs de ring dépouillé, sur lequel tout est assumé.
Les comédiens se changent sur les bords du plateau, entrent et sortent par toutes les issues imaginables. Tout est libre, vivant et joyeux.
Les comédiens interprètent plusieurs personnages. Ils passent tous de l’un à l’autre avec naturel, persuasion et agilité. Une pensée pour Romain Cottard, un Wolland subtil et éloquent. Un personnage dont la désinvolture et la verve le rendent surprenant.