Rodrigo Portella présente Tom na Fazenda, sa version brésilienne de Tom à la ferme, de Michel Marc Bouchard au Théâtre Paris-Villette . Un Tom na Fazenda explosif, organique et sensuel. Une immersion violente dans le système patriarcale et sans pitié du Brésil. Un spectacle tout simplement sublime !
Dans Tom à la ferme, Tom, publicitaire, se rend dans la famille de son amant, décédé lors d’un accident. Ce garçon de la ville se trouve projeté dans un monde qu’il ignorait : une laiterie isolée dans la campagne profonde. Il subit alors un choc culturel, tant sa vie est différente ; et un choc émotionnel, car il comprend que son existence et que la vraie identité de son compagnon ont été cachées par le frère du défunt à leur mère. C’est violent et sensuel, car c’est bien son deuil qu’on lui vole. Mais c’est universel, car comprendre et accepter l’autre dans ce qu’il est vraiment reste l’aventure humaine la plus exigeante.
« Francis : Ici à douze ans on est déjà à la taverne…Le petit gars aux jeans blancs puis au T-shirt vert, il m’a accosté avec des yeux pas normaux; « Faut que je te parle de ton frère. C’est délicat. » Mon petit frère nous regardait de loin, tout inquiet. Je lui ai fait répéter au gars « Ton petit frère. C’est délicat ! ». Là j’ai compris de quoi il voulait parler. Moi, je le savais pour les dessins puis les poèmes en dessous de son lit, mais comment lui il pouvait savoir ça ? Ça voulait dire que tout le monde le savait ? Ça voulait dire que tout le monde riait de nous autres ? C’est un trou ici, puis tout ce qui est pas normal se multiplie par vingt. Mes yeux ont tourné au blanc comme une masse qu’on assomme. Je me rappelle juste de mes mains dans sa bouche. D’un son qui venait du fond de sa gorge. Des os qui se cassaient dans sa gorge. » – Tom à la ferme, Michel Marc Bouchard – Éditions Théâtrales
Rodrigo Portella ramène ce texte au Brésil et en propose une adaptation puissante et vertigineuse. La transposition sur ce territoire est percutante et politique. La société brésilienne est définie comme une société patriarcale soumise à l’oppression masculine. Elle reste traditionaliste quant à l’organisation de la famille. De plus c’est une société qui rejette profondément l’homosexualité : ce n’est qu’en 2019 que l’homophobie a été reconnue comme un crime au Brésil.
Tom na Fazenda permet de déconstruire les idées reçues, les héritages sociétaux, les automatismes et de se libérer des carcans pour oser enfin être.
La mise en scène et la scénographie sont sublimes et à l’image des comédiens : saisissants et engagés. Le plateau du Théâtre Paris-Villette prend une allure d’arène dans laquelle règne la torture et les faux semblants. Recouverte de terre mouillée, la scène est le lieu de l’affrontement et de la vérité. Mais aussi le terrain de l’expiation de la saleté et du pêché. Qui triomphera de l’autre ? Qui dominera la partie ?
Les corps souffrent, s’embrasent et s’illuminent sous la lumière rouge sang qui créait des scènes picturales presque sacrées. Recouverts de boue, semblables à des gladiateurs les deux comédiens repoussent leurs limites. Ils s’adonnent à une partie d’échec complexe et violente dans laquelle l’amour, la peur et la jouissance semblent être les maîtres du jeu.
Rodrigo Portella et Armando Babaioff sont des comédiens époustouflants d’audace et de sensualité. Impétueux et imprévisibles, leur frénésie transcendent l’espace. Ils mènent un combat sans merci contre le rejet et le système. Dans une lutte sans merci, dans des corps à corps extrêmes ils bousculent la morale et la différence. L’amour frémit mais le chaos domine la partie.