C’est au Théâtre de la Tempête que Gérard Watkins présente sa mise en scène de Voix, un texte coup de poing dont il est l’auteur et avec lequel il rend hommage à ceux qui entendent des voix. Des êtres singuliers qui ont souvent et rapidement été catalogués de schizophrènes et dont le metteur en scène révèle avec douceur et tendresse toute la beauté fragile et les fêlures cachées.
Il y a quelques mois Anouk Grinberg présentait Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?, sous la direction d’Alain Françon au Théâtre de la Colline. Un moment d’humanité et de poésie hypnotique qui rendait hommage à la parole de ceux considérés comme des dérangés de notre société.
Après le succès de Scènes de violence conjugales, Gérard Watkins créait Voix et se penche sur ceux qui souvent sont expulsés du monde, parfois considérés comme fous ou simples d’esprit. Dans d’autres sociétés que la société occidentale, il est normal d’entendre des voix. À d’autres époques entendre des voix était une bénédiction. Virginia Woolf, Andy Warhol, Rilke, Amélie Nothomb et même Zinédine Zidane révèlent avoir entendus des voix.
Dans Voix, Gérard Watkins donne la parole à trois jeunes : Manon, Clément et Eloïse qui participent à un groupe de parole dirigé par une voix lointaine qui est celle de l’accompagnateur. Chacun leur tour ils se confient sur ces voix qui les habitent afin de les comprendre, de dialoguer avec elles et de mieux maîtriser leur impact sur leur quotidien. La petite, le morse, le garçon des bois, Frau, Amandine, Jérôme, le coach, Schopenhauer et Dieu sont les voix qu’on entend et aussi celles qu’on entend pas.
« Je m’en fous des ours polaires – j’aimerais juste qu’elle ferme sa gueule en fait- qu’elle change de programme en fait – qu’elle parle un peu de moi – ou de trucs qui m’intéressent -qui me donnent pas forcément envie de me tirer une balle » Eloïse dans Voix, de Gérard Watkins édité chez Esse que.
C’est en pleine séance que fera irruption Véronique, une femme plus âgée qui vit avec ses voix depuis son enfance. C’est la première fois qu’elle se confie sur ce qu’elle traverse.
« J’entends des voix
J’entend des voix aussi
J’entends des voix depuis que je suis petite
Depuis la première fois que je me suis déplacée » – Véronique dans Voix, de Gérard Watkins édité chez Esse que.
L’émotion est si grande, que stupéfaite et bouleversée elle demande aux autres participants de quitter la séance pour pouvoir se livrer seule sur son histoire. Et surtout pour tenter de se débarrasser de La petite qui l’épuise et lui suce le sang comme un vampire. La seule voix qui l’empêche de penser et de vivre paisiblement.
Les comédiens nous bouleversent et conjuguent toutes les voix avec sincérité et clairvoyance. Véronique est interprétée par Valérie Dreville, immense actrice de théâtre, célèbre Médée qui ici nous offre un personnage vacillant et brut. Une femme fragile mais pas fébrile. Un roc poétique qui nous ouvre les portes de ses secrets les plus noirs. À ses côtés Lucie Epicureo est une Eloïse excentrique, pétillante et combative. Marie Razafindrakoto interprète une Manon douce et attendrie, un brin sensible. Malo Martin est un Clément bouillonnant et engagé.
La séance se déroule dans un espace assez commun, celui d’une salle en centre ville. Quelques chaises et un mur délabré font office de décor. Un mur dont les morceaux de peinture qui s’effritent jonchent le sol, à l’instar de l’érosion des âmes et des pensées qui ne sont pas toujours claires. À la fin de la pièce l’espace scénique se transformera et les murs tomberont comme une chrysalide pour laisser apparaître l’espace intime et mental de Véronique et les trois voix principales qui l’habitent : Le morse, La petite et Le garçon des bois.
C’est dans son salon, sur une estrade perchée, aux allures de cabane en bois nichée en pleine forêt que nous assisterons à l’infernal invisible. Des voix en boucle qui ne lui laissent aucun répit. La voix rabaissante, agressive et humiliante de La petite qui injure sans répit la mère de Véronique. La voix paternelle du Morse qui tente de tempérer la situation. La voix tremblante et insécure du garçon des bois. Jusqu’au moment où Véronique demandera à La petite de raconter ce qui lui est arrivé… Les lumières s’éteignent sur le plateau du Théâtre de la Tempête et laisse le spectateur ébranlé, essoufflé bien conscient que derrière chaque différence se cache une histoire parfois traumatique qui ici ne sera pas entièrement dévoilée…
» Ta mère s’habille comme une souillon
Ta mère est une souillon qui n’aime que les cons
Ta mère est pauvre ta mère est dérangée
Ta mère est si pauvre qu’elle suce les doigts des gens après qu’ils aient mangé » – La petite dans Voix, de Gérard Watkins édité chez Esse que.