Entretien avec Catherine Hiegel – Comédienne dans Le Prix des boîtes

Aujourd’hui, après une telle carrière, quels sont vos rêves ? 

Continuer, avec la certitude que lorsque le rêve tournera au cauchemar, j’arrêterai.

Vous penchez plus vers la comédienne ou la metteuse en scène ? 

Ce qui me plaît, ce sont les rencontres, une rencontre avec un rôle. Je ne suis ni une forcenée de la mise en scène, ni une forcenée de jouer pour jouer. La place de metteuse en scène est différente. À l’époque où je mettais en scène à la Comédie-Française, cela donnait l’impression d’une actrice qui mettait en scène ; il n’y avait pas de distinction.

Êtes-vous plus attirée vers le théâtre classique ou le théâtre contemporain ? 

Les deux, à tous points de vues. Pour bien relire le classique, il faut terriblement rester en contact avec le contemporain, sinon on le relit mal.

Avec Le Prix des boîtes, c’est la 9e fois que vous travaillez avec Jorge Lavelli. Y-a-t’il eu une évolution dans vos rapports artistiques, dans sa direction d’acteur ? 

Notre relation a toujours été celle qu’elle est aujourd’hui, dans cette aventure. Nous nous sommes toujours reniflés de la bonne façon. Lorsqu’il fait une mise en scène, Jorge Lavelli n’est pas un grand causeur. Il faut savoir le déchiffrer et capter rapidement son univers. Une fois que c’est chose faite, il faut imaginer et inventer l’endroit où il veut qu’on aille.

Quel genre d’émotions a suscité en vous le fait d’aborder la maladie sans trace de pathos et de sensiblerie d’utiliser le rire pour masquer le pire ? 

L’absence de pathos, c’est ce qui m’a plu lorsque j’ai reçu le texte. Les actrices de notre âge, comme Francine Bergé et moi, recevons beaucoup de textes sur la maladie. Aujourd’hui, comme on parle beaucoup d’Alzheimer, beaucoup d’auteurs décident d’écrire de grands monologues alors que dans la réalité une personne atteinte de cette maladie est loin de la capacité du monologue. Ce que j’ai aimé c’est justement ce manque de réalisme voyeuriste que je ne trouve pas intéressant. Ce n’est pas un documentaire sur la maladie. J’ai lu cette pièce comme un conte, une fable qui se situerait entre Copi et Sempé. Il y a le charme, la tendresse et un regard bienveillant sur l’humain. J’apprécie assez le théâtre qui parle des femmes, des gens invisibles. Il y en plein partout autour de nous, mais on ne les regarde pas. Nous sommes entourés de solitude, de personnes âgées et de détresses anonymes. Ici, ce sont deux petites bonnes femmes qui n’ont aucune envergure intellectuelle. Ce sont deux petites vies. C’est ce qui m’a touché.

Les autres personnages qui s’immiscent dans votre univers ne viennent-ils pas briser, de manière perturbante, le solide cocon que ces deux femmes ont construit ? 

Du tout, car cela vient compléter leur destin et leur histoire. Ces personnages qui gravitent, qui tournent autour d’elles, viennent les exploiter. Que ce soit le Monsieur-Dame, le Docteur, la Tutrice ou l’Auxiliaire de vie. C’est un phénomène qui se produit très régulièrement mais nous n’en parlons pas. Nous avons tous quelqu’un près de nous qui a connu ça. À présent, il faudrait monter une pièce sur les notaires.

Quelle est votre vision de la place de la femme en tant qu’artiste dans le théâtre ? 

Elle est différente pour la comédienne et pour la metteuse en scène. J’ai toujours eu l’impression, en tant que metteuse en scène, que si j’avais signé sous un nom masculin, la critique, et non le public, aurait été différente. Comme comédienne, c’est un autre problème. La compétition homme/femme est inexistante ; cela concerne plus les rôles. C’est encore plus frappant au cinéma où un scénario comporte cinq grands rôles d’hommes pour un grand rôle de femme. De plus, à part quelques exceptions, au cinéma, la femme n’a pas le droit de vieillir, contrairement au théâtre. Lorsque j’étais toute jeune actrice au Conservatoire, comme je n’étais pas brune avec un bandeau, je ne pouvais pas jouer les jeunes premières amoureuses. À l’époque, le physique était très codifié, ce qui a bien évolué. J’ai donc joué beaucoup de rôles de servantes et de soubrettes, surtout à la Comédie- Française. Jeune, ce fut une souffrance qui, par la suite, s’est transformée en richesse car ce sont souvent des rôles magiques et formidables. Plus ces femmes-là vieillissent, plus leurs rôles (Genet-Goldoni) deviennent riches et splendides. Maintenant, j’ai le droit aux mères et aux grands-mères ; et il y a des beaux rôles, mêmes s’ils sont moins nombreux. Néanmoins, sur un plateau, une comédienne ne souffre jamais d’un milieu trop masculin car nous sommes tous sur un même navire asexué.

Quelle est votre vision du théâtre aujourd’hui ?

Je trouve qu’il survit formidablement bien. Il y a toujours une profusion admirable de spectacles. Je suis toujours étonnée que les gens gardent cette curiosité. Malheureusement, le monde de la culture est traversé par la crise ; le manque d’argent est criant et certains directeurs de Théâtres doivent abandonner des projets uniquement pour des raisons financières, ce qui est dommage.

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