Entretien avec Jorge Lavelli – Metteur en scène du Prix des boîtes

Qu’est-ce qui vous a séduit chez Frédéric Pommier qui, à la base, est un journaliste qui a écrit peu de théâtre ? 

Il a écrit des livres très amusants sur l’utilisation de la langue, sur les tics de langage des politiciens. Pour Le Prix des boîtes, il est parti d’une idée concrète car il a vécu cette histoire. Il s’agit de gens qu’il connaissait de près, de sa famille. C’est comme un hommage rendu à ces femmes, à ces vieilles dames malades. On a pensé que je pourrais être intéressé car j’ai monté beaucoup de théâtre moderne. En effet, il y a dans la pièce des airs de Copi, mais en moins violent. Copi a un langage poétique ; il aimait et a subit l’influence de certains poètes importants aux Etats-Unis ; des auteurs qui pensaient le monde comme une tragédie. Ils écrivaient des textes drôles sur des sujets inéluctablement tragiques. C’est une alliance importante du théâtre moderne : le tragique et son contraire. Je trouve que Frédéric Pommier écrit également dans cet esprit. Dans son ouvrage, il y a ce procédé du début à la fin. Le tragique devient émotionnel car, sans émotions, il n’y a pas de théâtre. J’ai aussi beaucoup aimé sa liberté d’écriture, sa manière de traiter le langage. Tout est dit et repris par un autre personnage, comme une construction géométrique.

Le texte est très riche, contenant déjà toutes les indications. Cela n’a pas été difficile d’en sortir afin de créer un espace indépendant ? 

Comme toutes les pièces, la pièce a besoin d’un point de vue. Un texte doit être soumis à l’épreuve extraordinaire de l’espace sinon ce n’est que de la littérature. Ici, c’est un texte dramatique qui obéit à une pensée qui se développe et qui, en même temps, raconte une histoire. Cette histoire se prête à différents points de vues, comme la révolte du personnage qui demande de l’aide au public et s’adresse au régisseur.

Vous avez voulu créer une scénographie ambiguë en mélangeant cet asile-prison avec une esthétique élégante. 

C’est un dispositif scénique où il y a plusieurs portes, cinq de chaque côté. Elles sont à la disposition de la dramaturgie. Parfois, elles limitent des couloirs ; à d’autres moments, elles annoncent un départ et dissimulent des bruits. La mission qui me plaît d’un dispositif scénique, c’est qu’il puisse accompagner un personnage, même dans ses pensées et ses expressions lyriques. Je veux sortir, par tous les moyens, du naturalisme que je déteste au théâtre. Dans ce « décor » assez nu, il n’y a rien qui ne serve à quelque chose. Il permet une sorte de magie, il marque le passage du temps ou la simultanéité. Le temps est important dans la mise en scène et pour la perception du public. On doit savoir que ce n’est pas une tragédie qui commence le matin et finit le soir. On doit sentir qu’il y a des éléments qui avancent ou qui s’enfoncent, qu’il y a des choses permanentes qui ponctuent le temps par des contrastes d’humour. En France, nous avons du mal à accepter le contraire de ce à quoi on s’attend dès le départ. Pourtant, c’est très intéressant car cela répond à la vitalité et l’énergie qui sont capitales dans mes mises en scènes. Il faut de l’énergie pour tout, même pour mourir. L’acteur utilise et s’approprie ces moyens pour construire quelque chose qui fait face aux évènements, pour qu’on puisse y adhérer. Tous ces éléments font partie d’un vocabulaire issu d’un langage que produit des gestes qui sont significatifs, même si ils sont destinés à la mort.

Votre direction d’acteurs a-t-elle été la même pour les deux femmes que pour les autres personnages plus atypiques ? 

Cela a été pareil car la pièce est une totalité. Les deux femmes sont le cœur du spectacle. Ce sont deux sœurs qui partagent des passions tout en étant isolées. Le théâtre et la vie moderne ont beaucoup à voir avec ces solitudes. La Grande est la femme la plus atteinte. Comme sa sœur, sa famille s’est limitée à ses chats mais pour elle, l’expérience de la vie s’est arrêtée à la relation incestueuse et au viol de son père. Amener l’idée du père ne serait-ce qu’avec une photo, bouleverse naturellement la personne. Ce sont des personnages qui ont des blessures profondes, même si elles ne perdent pas le sens du jeu. Les autres personnages sont plus objectifs ; ce sont des personnages de la société. Comme le médecin qui voit la médecine à travers le golf, il a un jeu décalé du réel: aucun psychanalyste ne peut porter tous les malheurs du monde sur ses épaules. Ces personnages ne sont donc pas de deuxième catégorie. Ils sont représentatifs de ce qu’est l’Administration de la santé. Ils sont autour de l’évènement mais ils le complètent, le mettent en valeur. A travers leur jeu, ils apportent une modification des situations et la création de certaines atmosphères. La pièce fonctionne par atmosphères différentes, lyriques et mystérieuses. Il y a une palette de situations sur laquelle est basée la mise en scène. Ces situations décident de l’avenir des personnages, elles dominent et partent d’un point de vue, à partir du texte.

Quelle est votre vision du théâtre ? 

Pour l’essentiel elle est toujours la même depuis que je monte du théâtre. J’ai toujours été intéressé par le théâtre et l’opéra contemporains. Je crois que l’Art doit se renouveler complètement et que l’agressivité de la création est ce qui marque une génération et crée des distinctions. On ne peut pas toujours vivre dans le culte du passé, même s’il fut extraordinaire, parfois, et a pu signifier beaucoup, en son temps. Ainsi sont nés un certain respect, voire une adoration pour des formes et des systèmes anciens. Les artistes, par leurs interprétations et leur point de vue revitalisent, dépassent le passé et provoquent, inventent de nouvelles formes au service des histoires d’hier et d’aujourd’hui.

Quels sont vos prochains projets ? 

J’en ai pas mal, à la fois du théâtre dramatique et du théâtre lyrique. Cette pièce de Pommier m’a pris beaucoup de temps car j’ai besoin, quand je monte un texte, de savoir, dans les moindres détails, ce que j’ai envie de dire. Je ne fais pas du théâtre commercial. J’ai monté trois pièces de Juan Mayorga qui, pour moi, est un des auteurs contemporains espagnols les plus intéressants. J’ai un autre texte de lui que j’ai du mal à monter pour des raisons financières. Je vérifie que le théâtre commercial est une autre affaire. C’est dur d’être indépendant. Il faudrait avoir plus de moyens pour continuer, c’est pourquoi, souvent, je travaille à l’étranger. Ce sont des expériences qui enrichissent ma connaissance et me permettent de réfléchir sur le présent et le futur.

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