Henry VI, par Thomas Jolly à L’Odéon

Henry VINous connaissons Le Soulier de satin, de Paul Claudel mais aujourd’hui, mettons en lumière Thomas Jolly qui, pour la première fois en France, monte l’intégralité d’ »Henry VI » de Shakespeare en deux cycles de 9h au Théâtre de L’Odéon. Débute alors une belle aventure hors du commun, son metteur en scène, récemment honoré d’un Molière, nous surprend, nous rassemble et nous unit autour de sa création.

Pour cette adaptation atypique, un seul mot d’ordre: l’accessibilité. Malgré la densité, sur la durée, de cette épopée historique qui retrace toute l’existence complexe d’Henry VI, le metteur en scène parvient à la rendre facile d’accès, fluide et à la portée de tous. Pour cela, il opte pour une mise en scène contemporaine, étonnante d’originalité, d’humour et en résonnance avec notre époque.Se déroule alors, sous nos yeux, un spectacle très visuel, à la fois à travers la scénographie, la mise en scène et les costumes. De magnifiques jeux de lumières habillent la scène des Ateliers Berthier, créant des couloirs mystiques, des mystères enfumés et des instants de poésie suspendue. Un aspect spectaculaire, presque surnaturel, renforcé par la puissance de la musique qui amplifie l’allure grandiose de cette fresque historique du 15ème siècle. De plus, de nombreux dispositifs scéniques, comme des échafaudages, des escaliers, des rideaux aux fonctions multiples, des pluies de cendres et autres substances inondent l’espace et lui offrent un caractère impressionnant et insolite. Le plateau regorge d’éléments visuels qui bouillonnent et donnent à entendre une autre vision de l’œuvre, avec un texte plus allégé, qui se dirige vers l’essentiel et les ténèbres. Ainsi, les personnages n’hésiteront-ils pas à user de schémas, d’arbres généalogiques, de noms de villes en lettres cartonnées ou encore d’apartés intimes et amusants afin de mieux nous expliquer le déroulement des faits et le contexte. Le dessein reste cette nécessité de la compréhension et d’une assemblée face à ce colosse théâtral qui peut en effrayer plus d’un mais qui nous rassemble tous.

L’humour entre alors en scène de manière admirable et inédite. Thomas Jolly et toute la Piccola Familia osent revisiter Shakespeare en y insérant des notes grotesques mais convaincantes car elles sont le reflet assumé d’un propos sous-jacent. La bouffonnerie des personnages et de leurs querelles de pouvoir est mise en avant, mais n’entache pas pour autant la réalité de cette société en délitement et en plein basculement dans l’histoire de l’humanité.

Ils useront alors de costumes tous plus fantaisistes et décalés et d’accessoires extravagants et saugrenus. Chaque personnage adoptera une attitude spécifique avec des intonations, des manières et des réactions composées avec authenticité et excentricité: le Duc de Bourgogne sera ce grand homme efféminé et précieux, à la frange rebelle et au timbre feutré. Le Cardinal Winchester, une peste haineuse qui ne quittera jamais son caniche. Jeanne la pucelle, portera une perruque bleue turquoise et des protections de roller. Jack Cade et ses rebelles seront le clan des rockeurs punks. Autant de trouvailles, modernes et risibles, que de rôles qui composent cet Henry VI en ébullition. Une magnifique utilité de toutes ces ressources qui nous plonge au cœur même des pouvoirs du théâtre, qui travestit tout et peut tout oser, tant que cela n’est pas au détriment du sens.

Un sens qui résiste bel et bien face à cette déferlante de tableaux chorégraphiés et stylisés car, à travers leurs sublimes engagements, les comédiens ravivent la plume de Shakespeare et l’inscrivent dans notre réalité. 21 comédiens pour interpréter plus d’une cinquantaine de rôles, tous égaux: il n’y a pas de petits rôles lorsqu’il faut représenter toute une société, tout un monde. La performance est incroyable car ils s’investissent tous avec autant de profondeur, de rigueur et de méticulosité dans chacun de leurs personnages et cela de manière méconnaissable tant ils parviennent, avec aisance, à passer d’un duc à un pirate ou d’un rebelle à un prince. De plus, ils ne sont pas toujours dans le débordement et la singularité car ils font toujours entendre le texte, conservant le propos au centre. Certains instants qui se rattachent à la beauté brillent d’une émotion intense, comme les dernières paroles de Jeanne D’Arc et du Duc d’York qui semblent arrêter le temps mais renforcent ce partage exceptionnel que nous offre ce magnifique spectacle.

 

Théâtre de L’Odéon

 

Henry VI, un texte de Shakespeare mis en scène par Thomas Jolly

Avec Johann Abiola, Damien Avice, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Geoffrey Carey, Gilles Chabrier, Éric Challier, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Antonin Durand, Émeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, Nicolas Jullien, Pier Lamandé, Martin Legros, Charline Porrone, Jean-Marc Talbot, Manon Thorel

Jusqu’au 17 mai 2015

 

Retrouvez cet article et l’interview de Thomas Jolly sur Des mots de minuit sur la Culturebox de France TV

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