Conte d’hiver, de Shakespeare par Declan Donnellan

Découvrir le cœur de l’homme en mettant son âme à nue, semble être au cœur du travail de Declan Donnellan. C’est au Théâtre des Gémeaux qui accueille tous les ans ses créations que cet artiste anglais rend hommage à Shakespeare en présentant « Conte d’hiver ». L’incarnation théâtrale dans toute sa splendeur.

Il s’agit d’une tragi-comédie inhabituelle, qui déjoue les codes du théâtre et interroge sur le rapport à la femme et aux sorts qu’on lui inflige. L’important est avant tout de véhiculer un message d’espoir quant à la nature humaine, ce qui contraste avec les schémas dramatiques de l’époque. La fin de la pièce porte les couleurs de la seconde chance et de la rédemption offertes à un père. Le théâtre shakespearien est un théâtre de la vie, une étude anthropologique. C’est dans cette intention que Declan Donnellan pose son empreinte de metteur en scène.

Nous découvrons un théâtre des émotions pures et spontanées. Le metteur en scène et les comédiens explorent les méandres et les travers de l’homme de pouvoir, trop fier pour revenir sur ses positions. Les scènes s’enchainent de manière fluide et cohérente. Le rythme est soutenu et la scénographie abstraite et modulable permet la création de plusieurs lieux. Des caisses occupent l’espace et le nourrissent pour y figurer une salle du palais, une cour de justice, un tombeau ou encore un bateau. L’épure prime et efface le pouvoir du temps et des ellipses. Place au texte, à l’imagination, aux corps et aux voix. Et quelles voix transcendantes ! Il est rare de voir autant de puissance et de vérité émaner d’une scène de Théâtre, lieu de l’illusion où tout est vent.

Seulement, la force et la sincérité des comédiens nous troublent tant ils incarnent avec intensité leurs personnages. Nous oublions qu’au quotidien, ils ne sont qu’Orlando James et Nathalie Radmall-Quirke. Que Léonte, Hermione et les douze autres comédiens jouent, tant ils ressentent au plus profond de leurs entrailles les sentiments d’un autre. La limite entre la composition et la réalité disparait et nous trouble. Dans un tel climat, à fleur de peau, un mot, un regard, suffit à nous surprendre davantage.

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@Johan Persson

Orlando James reste celui qui nous transperce le plus. Léonte, roi paranoïaque empreint au délire et à la soumission. Léonte, mari égocentrique et sans pitié pour celle qui lui a toujours été fidèle et aimante. Léonte, père violent et meurtrier. Un homme déraisonné qui détruira tout autour de lui. Un personnage aux facettes multiples qui goûte à la bienveillance pour cracher son pire venin l’instant suivant. Cette ambivalence est interprétée à merveille par Orlando James qui a saisi toute l’instabilité du personnage et qui paraît possédé. Une figure qui intrigue car elle est insaisissable. Qui répugne par ses capacités à accomplir les pires horreurs.

Mais qui apitoie et trouve notre compassion dans ses souffrances atroces et ses regrets. Chaque comédien est à la hauteur de son rôle, même dans les scènes de groupes, chacun est habité et présent au moment. La beauté de ce spectacle réside dans la transmission. Lorsqu’Hermione est accusée, nous pleurons. Quand Léonte rampe nous nous effondrons. Perdita fait naître en nous l’espérance de jours meilleurs. Ensemble nous respirons la beauté de ce théâtre qui nous coupe souvent le souffle.

« Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’y sont que des acteurs. »

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

 

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