Si j’avais su que j’allais au cinéma j’aurais acheté des Pop-corn !

Lorsque les frontières entre tous les arts se brisent, certains artistes font preuve de surabondance et la singularité de chaque discipline s’efface et se confond.

Depuis quelques temps, sur les plateaux de Théâtres, la tendance est à la vidéo, souvent en excès. Utilisée à outrance, elle impose des angles et des points de vue qui pourraient être retranscrits plus pertinemment, avec moins de radicalité. Notre œil n’est plus libre de cibler à sa guise et de choisir ce qui retient son attention. Tous nos regards sont fixes et logés à la même enseigne, prisonniers. Des extraits de vidéos, filmés en live, sont projetés sur un écran et il en est ainsi ! Nous sommes contraints d’être rivés sur ce support enregistré, aux antipodes du spectacle vivant.

Car c’est finalement de cela qu’il s’agit. Lorsque nous parlons de Théâtre, nous évoquons une pièce interprétée par des vivants, pour des vivants, dans un instant commun et en présence. L’intérêt, au-delà du contenu en soit, est de partager entre la scène et la salle avec des comédiens en chair et en os et non avec des images dans un cadre immobile. La spontanéité est toujours plus forte et vraisemblable au Théâtre qu’au Cinéma car il s’agit d’une réalité. Fictive ou non, chacun peut davantage s’identifier à un personnage physiquement présent qu’à une projection qui distance.

Dans certains cas, les comédiens filmés en live sont apparents mais cela n’empêche pas l’abus inutile qui finit par lasser. 2066, de Roberto Bolaño, par Julien Gosselin à L’Odéon, est l’exemple typique de l’engorgement qui mène au gâchis. La première partie de cette création est brillante, les comédiens sont justes et l’action prenante. Le metteur en scène réussit le pari de retranscrire un roman fleuve sur un plateau de Théâtre. La seconde partie n’est que de la vidéo. Des témoignages capturés en direct sur la scène, comme pour appuyer, à l’aide de gros plans des visages, le discours de chacun. Autant de vidéo ne semble pas nécessaire pour insister et imposer une prise de parole qui, sans technique, avec plus de réel et d’entité, aurait plus de sens.

Dans l’adaptation des Frères Karamazov, de Fedor Dostoïevski par Frank Castorf à la Friche Babcok, nous assistons, dans une première partie de 2h40, à 2h15 de vidéo. Le plateau, immense, est recouvert d’habitations à étages, dans lesquelles les comédiens s’enferment pour jouer, tout en étant filmés. Aucune présence humaine, seulement un écran diffusant un long film assez hystérique, avec des comédiens sans cesse en tension. Nous sommes complétement exclus du dispositif théâtral, dans l’attente d’apercevoir un corps, d’entendre une voix. Dostoïevski, brosse les portraits de personnages qui interagissent perpétuellement. C’est un auteur qui s’immisce au cœur de l’humain et de la religion. Il écrit presque du théâtre, tant les dialogues et les scènes dramatiques s’enchainent. Dans chacune de ses œuvres, le lecteur est immédiatement plongé dans le vif de l’action. Dans cette mise en scène, nous sommes privés des comédiens et de l’auteur.

Il est certain que la technique multiplie les possibilités et les angles, ce qui produit des situations plus démesurées et épiques qu’au Théâtre. Il ne faut juste, pas en abuser. La vidéo doit être incorporée à bon escient, pour mettre en valeur le propos dramatique et non l’inverse. La caméra doit faire partie de l’édifice sans être l’édifice en soi. Certains metteurs en scène, se servent intelligemment de cet outil et créaient des spectacles cohérents dans lesquels tout s’additionnent et se complètent merveilleusement.

Dans 20 November, de Lars Noren par Sophia Jupither à Avignon, la metteuse en scène rend la caméra actrice et l’écran ludique. La plus flagrante réussite, est  Kings of War, d’après Shakespeare, par Ivo Van Hove à Chaillot. Dans cette création, la vidéo permet de rendre l’invisible visible et de faire tomber les masques.

Le tout est de conserver la présence du comédien sur scène et de ne pas trop empiéter sur son temps de parole. C’est à travers lui que doit s’exprimer l’univers d’un spectacle. Il doit rester le tailleur de mots, le lien entre l’écriture, la vision du metteur en scène, le plateau et les spectateurs.

Etre humain peut aussi être un grand travail d’illusion.

Un commentaire sur “Si j’avais su que j’allais au cinéma j’aurais acheté des Pop-corn !

  1. En effet, l’utilisation à mauvais escient de la vidéo est une forme d’impuissance créatrice théâtrale, une facilité démagogique où les metteurs en scène enveloppent souvent une œuvre d’un papier coloré qui cache l’artifice de leur vision purement intellectuelle, au mépris du rapport charnel avec l’acteur, la dégustation théâtrale.En fin de compte, c’est peut-être tout simplement du snobisme !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *