The Foutainhead, par Ivo van Hove au Théâtre de L’Odéon

the foutainheadLe metteur en scène Ivo van Hove est sur tous les fronts. Alors que se joue, en parallèle jusqu’en janvier, à la Comédie-Française, son adaptation « Des Damnés », de Visconti, il s’attaque cette fois au roman. Nous découvrons « The Foutainhead », d’Ayn Rand au Théâtre de L’Odéon, sur la scène des Ateliers Berthier.

Dans une société en perpétuelle lutte des pouvoirs, un sujet qui semble intéresser le metteur en scène, quelle place accorde-t-on à l’Art et à l’artiste ? Dans ce roman, il est question d’architecture et pour Ayn Rand, deux écoles s’affrontent, un duel au cœur de l’œuvre.

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Il y a ceux, qui comme Peter Keating, architecte juste diplômé, créaient et produisent selon les attentes d’autrui, pour le bien commun. Ces artistes adaptent leur travail, leur art, à la tendance. Ainsi, Peter Keating conserve sa place dans le système et reste dans une économie fleurissante. Se fondre dans le moule a pourtant un prix, car l’adaptation demande des sacrifices. Face à lui, son compagnon, Howard Roark, architecte brillant et visionnaire, qui ne veut pas faire le deuil de ses rêves en les amputant. Quitte à vivre en marge et dans l’isolement, cet artiste reste fidèle à ses élans créatifs et à ses idées.

Faut-il avancer sur son chemin de création selon ses propres ambitions ou faut-il se conformer à celles des autres ? Laisser penser et décider à sa place ? Tout dépend de son degré de croyance. Peter Keating a beau être un architecte médiocre et académique, il est glorifié car il s’inscrit dans l’air du temps. Sa conscience ternira pourtant peu à peu son âme. Son manque de personnalité et d’inspiration prendra le dessus et il se perdra dans l’inexistence de son art sans saveurs. Quant à Howard Roark, architecte hors conventions car il puise en lui seul, sera banni et insulté. Il continuera à croire en l’accomplissement de son être à travers son art. C’est en cette foi que croit l’auteur et bon nombre d’entre nous. Dans une période où tout fait Art, des modes apparaissent, et ceux qui s’y engouffrent encouragent cette redondance, qui au fil du temps, perd son sens premier. À côté d’eux, d’autres se distinguent et tentent de réinventer l’art, en proposant de nouvelles visions, mais peinent à se faire entendre. Il faut être à la mode du jour et applaudir pour la forme, par frivolité. Intéressons-nous plutôt à ceux qui se détachent et aux initiatives. « Le code du créateur est bâti sur les besoins d’un esprit indépendant, celui du parasite sur les besoins d’un esprit dépendant. Or tout ce que produit un esprit indépendant est juste et tout ce qui provient d’un esprit dépendant est faux », Ayn Rand, The Foutainhead.

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Dans la pièce, les croyances d’Howard Roark sont tellement inébranlables, qu’elles iront jusqu’à remettre en doute le comportement d’un représentant ultime de la critique, responsable et faiseur de réputation, de la pluie et du beau temps : Gail Wynand, grand rédacteur en chef. Cet homme passera d’un camp à l’autre, trouvant sa vérité dans l’honnêteté et l’acceptation de tout perdre au nom de sa conscience.

En toile de fond de ces guerres de pensées, il y a la femme : Dominique Francon. Un être complexe qui oscille entre les deux camps. En marge du système de par ses désirs, elle est pourtant consciente que pour survivre, elle devra se conformer. Elle aime le mouton noir Howard Roark, mais elle se mariera à Peter Keating puis à Gail Wynand, symboles de réussite. En cela elle poussera au paroxysme son esprit de contradiction. Pour ne pas sombrer dans la douleur et garder la tête froide, elle se tournera, volontairement, sans états d’âme, vers la provocation et la soumission à l’horreur. Elle prendra parfois des airs de la Ruth d’Harold Pinter. Dans ce monde, la souffrance permet de conserver son entité.

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Au-delà du texte, le processus de création est au cœur de la mise en scène d’Ivo van Hove. Il opte pour une scénographie sans filtres. Les techniciens sont à découverts, la production du son et des vidéos en cours. De gros plans vidéo retransmettent sur écran, les croquis et les dessins élaborés en live par les deux architectes. Trois musiciens rythment l’action et créaient davantage de matière sur cette scène qui bouillonne de fondations.

Pour cette nouvelle mise en scène, Ivo van Hove quitte l’étoffe rare du Français pour revenir à celle autant insolite du Toneelgroop, la plus grande compagnie de théâtre subventionnée aux Pays-Bas. Nous avions découvert ces brillants comédiens dans « Kings of war », une des meilleures créations d’Ivo van Hove, en février dernier à Chaillot. Nous retrouvons Ramsey Nasr qui abandonne le costume d’Henri V, mais qui à travers le personnage d’Howard Roark, conserve son charisme et son assurance. La légèreté et l’aisance d’Aus Greidanus jr., qui rendent Peter Keating sympathique, mueront en désespoir et en pitié. Halina Reijn incarne avec mystère et sobriété cette femme captive de deux univers. De la violence à l’acceptation elle s’impose en femme de tête. Enfin, Hans Keating, qui nous avait bouleversés en Richard III, offre à Gail Wynand un visage plus humain. Il garde pourtant un regard sombre et saisissant, reflet de ses conflits intérieurs et de ses tiraillements entre les deux visions que l’auteur nous donne d’un artiste.

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

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