Une Longue peine, par Didier Ruiz à La Maison des métallos

Nous vivons dans un beau pays, empli de libertés, de possibilités et de droits. Les chances ne sont pourtant pas les mêmes pour tous. Au fil des années, les inégalités se densifient et les fossés sociétaux se creusent davantage. Être conditionné ou non par son milieu social constitue un véritable débat, sans solution immédiate. Il y a ceux qui s’en sortent et les autres. Ces autres, qui souvent issus des classes populaires, agissent avec ce qu’on leur a inculqué, selon leurs moyens et leurs connaissances. On ne peut excuser nul délit et aucun crime, chacun doit endosser ses responsabilités. Par contre, nous pouvons comprendre que la prospérité des uns, attire ceux qui pensent qu’ils ne seront jamais dans la réussite et l’opulence et qui pour y parvenir passent à l’acte…

une longue peine Ils sont cinq, face à nous, dans le dénuement le plus total. André, Éric, Alain et Louis, ont tous passé entre 14 à 35 années en détention. Annette, la compagne de Louis, a connu 8 années de parloirs.

Nous sommes à La Maison des Métallos. Au-delà de la scène et de quelques images sur un écran, nous n’assistons pas à du théâtre dans le sens fictif mais à des témoignages, des souvenirs, contés par les vrais acteurs. C’est cela qui créait toute la déchirure que nous ressentons.

Une longue peine, mis en scène par Didier Ruiz, retrace les années de prisons de ces individus hauts en couleurs et très émouvants, chacun à leur manière. Des êtres différents, qui interrogent sur l’inégalité des chances. Ils mettent en lumière les conditions insalubres des prisons et les injustices intolérables du système pénitentiaire.

André s’est fait arrêter par erreur, reconnu sur une photo par un témoin. Accusé d’avoir participé à un braquage, il plaide toujours innocent. Face au mutisme du juge il entama une grève de la faim et perdit cinquante kilos en six mois. Au bout de quelques années, il fut enfin confronté à ce fameux témoin qui ne le reconnaîtra pas. Il restera pourtant 35 ans en prison.

Alain apprendra le décès de son fils de 15 ans, à la radio, dans sa cellule. Le jour où il parviendra, après de longues démarches, à se rendre sur la tombe de son enfant, ses mains et ses poignets étaient si ligotés, qu’il ne pourra même pas y déposer un cadre.

Comme dans un film d’aventure, Éric, nous raconte sa folle évasion un 31 décembre et comment il fabriqua une corde avec des semelles d’espadrilles. Le meilleur réveillon de sa vie ! Il nous décrit aussi le jour où, désespéré, face aux rejets de ses demandes urgentes de soins médicaux, il dut s’arracher huit dents avec un couteau et une fourchette. Pour lui, le plus douloureux fut la gestion du temps qui passe. En prison, le temps s’arrête. On y entre à 18 ans et on en ressort 18 ans plus tard avec le physique d’un homme de 36 ans et la mentalité d’un jeune homme de 18 ans. Comment appréhender sa réinsertion et se confronter à la réalité ? Dans un système social bancal, lorsqu’on ne trouve pas de travail, comment lutter contre la tentation de replonger dans le crime ? Les braquages procurent une telle adrénaline…

une longue peine Louis a vécu l’enfer de la surpopulation mais surtout la douleur de la séparation avec sa femme et son enfant. Il s’est battu pour accepter son sort et avancer. Il a commencé à écrire, a pris des cours de Philosophie et a passé des diplômes qu’il a obtenus. Se fixer un objectif, apprendre et s’ouvrir au futur, lui a permis de tenir et de retrouver de l’espoir. Quant à Annette, sa compagne, elle a vécu de l’autre côté, ressentant l’enfermement de l’intérieur. La solitude, l’attente des parloirs, l’absence d’un père pour sa fille, l’incompréhension des actes de Louis. L’amour lui a donné la force, malgré la colère de rester, pour qu’ils affrontent l’horreur ensemble, en communiquant.

Des récits bouleversants qui effacent les fautes, pour laisser apparaître la valeur et la résistance d’une vie. Des vies qui ont lutté contre le suicide, la saleté, l’isolement, la peine, les cauchemars et l’étouffement. Des hommes privés de libertés, qui aujourd’hui, marchent des kilomètres pour rattraper le temps perdu. Malgré les souffrances les punitions et la folie qui les guettait, aucune animosité, aucune rancœur n’émanent d’eux. Ils ont appris à vivre dans l’instant, l’esprit tourné vers la lumière.

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

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