FESTIVAL IMPATIENCE – le festival du théâtre émergent

festival-impatienceCette année, le Festival Impatience fête ses 10 ans. Un rendez-vous incontournable pour découvrir les nouveaux talents dramatiques de demain. Que ce soit Thomas Jolly, Julie Deliquet, Lazare ou encore plus récemment Pauline Bayle, tous ont été repérés à travers cette manifestation. Trois prix sont décernés : celui du Jury et du public, celui des Lycéens et enfin de la SACD. La fameuse récompense pécuniaire s’est vue remplacée par une tournée, ce qui offre aux compagnies une visibilité sans égale.
Du 4 décembre, jusqu’à hier au soir, le 12, les spectateurs se sont retrouvés et souvent reconnus, dans les salles du 104, du T2G et du Jeune Théâtre national. Fabienne Pascaud, Charles Berling, Eric Ruf et de nombreux journalistes étaient fidèles au rendez-vous, prêts à pénétrer dans les univers de ces 10 compagnies sélectionnées. Un voyage entre seule en scène sauvage, fable amoureuse, absurde, revisite de Sénèque, conte philosophique, racines, transe, responsabilités collectives, angoisses existentielles et générationnelles.

Le prix du jury et le prix des lycéens revient à la Compagnie La Base avec Place. Le prix de la SACD au Théâtre des trois Parques avec Je suis la bête. Le prix du public au Group Nabla avec J’abandonne une partie de moi que j’adapte.

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En cette fin de festival, je vous propose de revenir sur un de mes coups au cœur : The Automated sniper, de la Compagnie Julian Hetzel, avec Bas Van Rijnsoever, Claudio Ritfeld, Ana Wild et Zaid Saad. Un spectacle performance, malaisant, percutant et intelligent, dont on ne ressort pas indemne.


Sur une scène du 104, deux comédiens s’affrontent dans une surenchère artistique absurde. Chacun tente, avec les morceaux d’objets qui jonchent le sol de créer l’œuvre d’art qui surpassera celle créée par l’autre. Tour à tour, ils empilent et encastrent une chaise, un tube, un porte manteaux, un sceau, une couverture de survie…Plus tard, à la fin de la pièce, ils reviendront à cette dualité. toujours dans la provocation, ils utiliseront l’autre comme matière et posture artistique en le ridiculisant à travers des poses grotesques. Une belle critique acide de l’art contemporain qui trouve tout son sens. Aujourd’hui, tout fait art, de l’Urinoir de Duchamp à des bouteilles de Perrier collées sur une toile vierge.
Un prologue et une fin amusante et perspicace dédramatisent et désamorcent toute la tension de la deuxième partie de cette expérience créative et terrifiante.

Une femme, à travers une voix off, propose un jeu en trois manches, avec respectivement trois volontaires parmi les spectateurs. En parallèle, elle nous décrit les fonctionnalités d’une machine, un petit robot, accroché en hauteur, sur le côté de la scène. Une arme de paintball, commandée par le spectateur désigné, qui doit suivre à la lettre, les instructions de tirs de cette voix off directive et quelque peu belliqueuse.
La première participante est une femme, sourire aux lèvres, elle se dirige derrière le plateau, son visage est projeté sur la scène. Elle se familiarise avec les commandes, tente de tracer des lignes droites, de délimiter son visage pour dessiner un semblant d’auto-portrait. L’ambiance est détendue, les tâches de couleurs apportent de la gaîté, mais nous sentons que le pire est à venir. Le second participant est un jeune homme confiant. La difficulté monte d’un cran, il doit rapidement prendre le contrôle du viseur et détruire hâtivement les trois œuvres d’art qui occupent le plateau. Les tirs se multiplient, la concentration est à son maximale et les boules de peinture explosent en cacophonie sur tout l’espace blanc des murs. Dernier round et dernier complice. Malgré la raideur et la contraction qui commencent à s’emparer de certains spectateurs, les mains motivées continuent à se lever pour devenir actrices de cette terreur innocente. C’est de nouveau un jeune homme, serein et apaisé, qui rejoint l’arrière de la salle pour prendre à distance, les commandes de ce drone immobile. Evidemment, à ce stade du jeu, il ne s’agit plus de tirer sur des sculptures ou sur des murs mais sur les comédiens. De les prendre pour cible afin de les éliminer. Raides et impuissants, nous assistons à cette scène fictive de violences illustrées. A sa manière, l’art met en valeur et dénonce toute la brutalité humaine.

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Le metteur en scène Julian Hetzel va plus loin dans ce brouillard entre jeu et violence. Il fait intervenir un adolescent champion de jeux vidéo, habitué à tirer. La communication est établie, avec lui, en direct, depuis Bagdad, ce qui renforce la possibilité, aujourd’hui, de détruire avec des armes contrôlées à distance. Ce jeune Bagdadi, avec une simple connexion internet, à 5000 kilomètres de nous, mitraille le plateau du Cent-Quatre dans le 19ème arrondissement de Paris. Son objectif : tuer les deux hommes présentés comme condamnables par la voix féminine qui continue de diriger les opérations. Cet adolescent qui nous confie sortir peu de chez lui à cause des attentats et des tirs constants, s’adonne virtuellement à cette même pratique. Une soupape évidente de décompression face à la violence de notre monde. Quant à nous, confortablement assis, nous restons spectateurs stoïques et abasourdis. Témoins, pour ceux qui ont assisté à cette destruction commandée et acteurs pour les volontaires désignés, qui se sont prêtés avec malice et complicité à ce grand jeu des responsabilités.

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