Les Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski mis en scène par Sylvain Crezevault à L’Odéon Théâtre de L’Europe

C’est à L’Odéon Théâtre de L’Europe que Sylvain Crezevault clôture son cycle autour de Dostoïevski en montant un monument littéraire : Les Frères Karamazov. À l’heure où la Russie est sur toutes les lèvres, le metteur en scène plonge avec fracas mais non sans espoir, au cœur d’une famille à la fois maudite et bénie.

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Sylvain Crezevault propose une adaptation moderne mêlant traduction d’André Markowicz et travail d’improvisation. L’entremêlement des langages et l’aisance naturelle, la liberté de tous les comédiens, immergent le spectateur au cœur de ce roman mythique.

« Ce sera mon dernier roman, il sera du format de Guerre et Paix… Le problème principal auquel est consacré toute l’œuvre est celui qui m’a fait souffrir tout au long de mes jours : l’existence de Dieu ». Fédor Dostoïevski

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Les Frères Karamazov, raconte le meurtre du père. Le meurtre concret d’un géniteur indigne du nom de père. Mais aussi, parallèlement, le meurtre de Dieu.

La fratrie est constituée d’Ivan l’athé tantôt intellectuel solitaire, secrétement diable fou. De Dmitri emporté par ses passions et emprunt aux tourments matériels et charnels. D’Aliocha l’idéal moral qui porte en lui le Dieu vivant de l’amour du prochain. Et de Smerdiakov un probable bâtard, qui sert de valet à son supposé père, et que ce dernier a gratifié d’un nom de famille de son cru. En Russe Smerdiakov indique la puanteur.

Cette famille est orchestrée par Fiodor Karamazov, un vieux tyran alcoolique, pervers et borderline qui écrase ses fils avec son immoralité et ses bassesses sans limites. C’est autour de son meurtre que se déroule l’intrigue. Mais c’est aussi autour de la question des croyances. Les croyances en Dieu, en sa destinée, en une vie meilleure et surtout en une liberté de choix, ici heurtée et anesthésiée par une réalité gangrenée. L’irreligion mène au crime : Ivan l’athé en est l’inspirateur. « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ».

Et quel meilleur endroit qu’un plateau de Théâtre, le lieu également du sacré, des croyances où tout est aussi permis, pour remettre en cause l’existence de Dieu?!

Même si les puristes de Dostoïevski s’offusqueront de quelques coupes au niveau des discours d’Ivan qui disent bien plus que son refus du christianisme, Sylvain Crezevault parvient à valoriser l’essence même du texte, à savoir le mal d’un siècle et une absence totale de direction dans la vie.

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Le metteur en scène offre aux femmes une place de choix, montrant leur emprise et toutes les contradictions du genre humain. Car il s’agit bien d’un monde pourri, dans lequel les personnages font face sans relâche à des luttes intérieures. Les innocents, les cœurs purs comme Illioucha meurent. Car ces cœurs-là, loin de l’intellect bourgeois des Karamazov ne sont pas prisonniers des mêmes démons. Pourtant Illioucha est l’incarnation de l’amour filial qui atténue la haine et le mépris des quatre frères Karamazov pour leur père. La pièce se termine avec Aliocha qui adresse un message d’amour et de pardon à ceux qui restent, aux futurs générations.

 

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Une sacrée épopée portée avec panache par une excellente équipe de comédiens qui apportent aux personnages toute l’instabilité et le niveau de renversement nécessaires. Arthur Igual est un vent réconfortant de tendresse et d’humour. Vladislav Galard explosif et émotif s’empare du présent comme jamais ! Quant à Servane Ducorps, Grouchenka contemporaine, elle souffle le chaud et le froid et illustre à la perfection le marasme mental des personnages. Une joyeuse et triste bande qui se déplace dans une boite blanche, écrin nu qui laisse place à l’imagination et à toutes les coquetteries scénographiques voulues.

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