Sandrine Roche met en scène son dernier texte, CroiZades (jusqu’au Trognon), au Théâtre des Halles. Un spectacle singulier et audacieux où le verbe, qui titille Les Fleurs Bleues, de Queneau et l’Ubu roi, d’Alfred Jarry, construit et déconstruit les codes, explorant toutes les configurations possibles.
©Anahi Matteo
CroiZades (jusqu’au trognon), part d’un postulat tout à fait subjectif : je crois, donc je suis. Mes croyances, quelles qu’elles soient, fabriquent un appui, une colonne vertébrale psychique et physique à laquelle je m’agrippe plus ou moins fortement pour garder la tête droite. C’est une enquête sur les systèmes de valeurs, les communautés de corps et d’esprits qui nous permettent de tenir debout, et d’avancer, au sens littéral du terme. La pièce se construit sous la forme d’une quadrilogie, écrite comme quatre variations sur un même thème : 1. Le temps de l’ignorance ; 2. L’hypothèse de la croyance ; 3. L’expérience de la foi ; 4. Aimer le diable. Une inspiration issue du vocabulaire religieux pour mieux s’en départir : élargir le champ de la réflexion à l’économique, au social, au politique.
©Anahi Matteo
Sur scène ils sont 8 : 6 comédiens, 1 créateur lumière et 1 créateur sonore. Une joyeuse bande qui circule dans les méandres d’une Histoire déjà connue de tous. Une Histoire qu’ils modifient, réinventent, craquèlent, pour mieux y insérer les variations de leurs histoires personnelles. Tels des enfants, explorant un monde imaginaire, dans lequel tout est permis, ils racontent, expérimentent, font semblant, changent et rechangent à l’infini le cours des choses. Play ! Forward ! Play ! Les personnages s’amusent à écrire des scénarios sans cesse remodelés, oscillant entre histoire médiévale et réalité économique poussant au burnout. Depuis son bureau, noyé sous une charge de plus en plus ingérable, un employé dépassé par la domination, se libérera de son carcan à coups de rots et d’illuminations étranges. Se dépouillant de certaines lettres et syllabes, il se transformera en une hérote moyenâgeuse pugnace et résistante.
©Anahi Matteo
Sandrine Roche est une autrice qui bouscule les codes de la langue et du plateau. Son écriture est fine et aiguisée. Parfois grotesques mais toujours farfelus et subtils ses mots font échos aux mondes du Duc d’Auge et à celui du Père Ubu. Sandrine Roche est également une metteuse en scène audacieuse qui parvient à créer des atmosphères uniques et marquantes. Les comédiens déambulent avec fougue et allégresse dans une sorte de chaos progressif et y sèment un désordre vivant et bien orchestré. Plaques en plexiglas recouvertes de tags, arbre reconstitué, perruques blondes et couleurs à foison peuplent leurs mondes à venir. Des formes pixellisées sont projetées et renforcent le tremblement et le frisson des corps qui luttent pour ne pas disparaître. Côtoyant la violence, la communion et la joie ne sont jamais bien loin. La danse, qui occupe une grande partie de ce spectacle, offre des moments de réjouissance et d’innocence mais ne tarde jamais à renouer avec l’insolence nécessaire et jubilatoire de ce spectacle.