C’est au Théâtre du Rond-Point, nouvellement dirigé par Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel qu’Emma Dante fait son retour avec Misericordia. Un spectacle dans lequel la féminité et la maternité flamboient et illuminent les cœurs. Une claque émotionnelle !
Emma Dante opère un théâtre de l’intime dans lequel elle raconte les histoires de vies précaires. Très souvent celles de femmes qui tentent de survivre et de résister à la dure réalité. Souvent en conflits, pleine de rêves et d’espoir les héroïnes de ses spectacles nous transpercent de leur générosité et de leur humanité. Qu’elles explorent la question de la sororité, de la maternité ou de la bonté, la miséricorde l’emporte sur toute la noirceur environnante.
Dans Misericordia, Emma Dante s’inspire de son expérience personnelle et de son désir d’être mère. Une mère qui aujourd’hui se déploie sous plusieurs prismes. Une mère n’est pas forcément celle qui a donné naissance, elle peut être décuplée en plusieurs figures maternelles. Tant qu’il y a de l’amour et de l’amour, les spectacles de la metteuse en scène italienne en ont à revendre.
Misericordia immisce dans des scènes du quotidien, qui font tomber les murs du Théâtre. Le spectateur assiste à des scènes familiales dans un boui-boui miteux au fin fond de l’Italie. Trois femmes qui tricotent la journée et se prostituent la nuit cohabitent. Sans le sous, elles élèvent pourtant Arturo le fils autiste de leur défunte amie Lucia. Pourtant malgré le train-train quotidien le départ d’Arturo pour un institut spécialisé est sur toutes les lèvres.
Un Arturo tendre et éblouissant de beauté, interprété par Simone Zambelli un danseur époustouflant. Arturo virevolte, s’agite et se contorsionne. Il semble être la seule âme affranchie, le seul corps libre de tous carcans. Car c’est aussi et beaucoup du corps dont il est question dans les spectacles d’Emma Dante. Un corps qui regorge de vitalité, un corps qui s’assume, un corps qui en dit plus que le verbe. On se souvient de Bestie di scena sur cette même scène du Théâtre du Rond-Point, où quatorze comédiens étaient mis à l’épreuve, toujours en action, pour aller au-delà de leurs limites, dans un rythme effréné et répétitif. La répétition est un procédé cher à Emma Dante, qui déjà, dans Le Sorella Macaluso, faisait rejouer sans cesse, la disparition traumatique d’une des sœurs en passant par la puissance du geste.
Dans Misericordia les corps se distinguent par leur allure, leur rythme et leur silhouette. Ils se rejoignent et s’allient dans une scène endiablée qui illustre l’envers du décor diurne et réglementé pour laisser place aux débauches nocturnes de ces trois femmes. En sous-vêtement, séductrices, sauvages, ravageuses, sur une musique sensuelle et envoûtante, elles crachent leur féminité. Un moment endiablé, d’une puissance folle qui contraste avec leur quotidien méticuleux et parfois dans la réserve.
Emma Dante détient le pouvoir de faire entrer le spectateur dans un moment privilégié et singulier. Dans une réalité lointaine et atypique dans laquelle les émotions prennent toujours le pas sur tous les enjeux. Son théâtre est brut, sincère et nécessaire. Les comédiennes sont authentiques et frissonnantes. Dans un monde en crise et en tension, Misericordia appelle à la beauté et à l’amour.