Le Canard sauvage, d’Ibsen par Stéphane Braunschweig

la canard sauvageGregers: « Et quel traitement employez-vous pour Hjalmar? » 
Relling: « Mon traitement habituel. Je m’emploie à entretenir en lui le mensonge vital. »

Toujours dans cette idée d’une élévation vers la vérité, Ibsen nous introduits dans un monde, cette fois marginal, opposant idéalisme et leurre de soi-même. Reflet de notre condition humaine à travers un cynisme toujours d’époque, Le Canard sauvage apparaît comme une réflexion sur la culpabilité et les sacrifices inutiles qu’elle engendre. Gregers, rongé par la faute et le déshonneur de son père, veut soulager sa conscience personnelle et rétablir vérité et transparence dans la famille Ekdal. Déclencheur du drame, élément perturbateur mais honnête, il sera, pourtant, responsable du trouble et de l’ultime sacrifice.

Tout détruire, pour reconstruire avec sincérité: un réel idéal qu’Ibsen traite parfois avec dérision. Certaines confidences auront alors des conséquences dramatiques sur le seul personnage innocent de la pièce. C’est dans cet éclatement soudain qu’Ibsen s’inscrit dans notre réalité et interroge la frontière, les limites entre la quête intérieure et le conformisme, la respectabilité et les apparences.

Afin de fuir l’évidence et la monotonie, les personnages s’évadent dans leur grenier mystérieux, lieu de tous les fantasmes. Ainsi, ils peuvent rêver à une vie meilleure, entourés par l’essence même de la nature. Car c’est sous la forme d’une forêt de sapins que Stéphane Braunschweig a souhaité représenter cet espace de l’imaginaire. Lieu qui les a auparavant détruits, mais qui les entoure et les rattrape. Un retour au principe même de la vie, à la nature sans artifices et sans mensonges. Le choix de la scénographie avec ces deux surfaces, intérieure et extérieure, illustre à merveille la césure entre réel et rêve. Ce visuel est d’autant plus fort et impressionnant qu’il rompt avec le cloisonnement sec et épuré de cette structure de bois, cette immense boîte sans charme qui fait office de salon des Ekdal. Ces sapins, sous un ciel aux couleurs dégradées, laissent apparaître un univers sans fin, un infini d’air pur propice à la croyance du renouveau et de la reconstruction. À mesure que le venin se répand, le décor évolue et le plateau, réceptif à l’état de crise, se hisse à la verticale, ôtant à la maison de cette famille les derniers repères qui lui restent.

Au sein de tout ce mensonge vital, les comédiens évoluent avec justesse, naturel et personnalité, gérant avec aisance toute une palette d’émotions. Déjà remarquable dans Des arbres à abattre, Claude Duparfait manie toujours le langage avec un cynisme et une authenticité qui nous ébranlent. À ses côtés, dans un autre registre que dans le Brecht de Vontobel, Rodolphe Congé interprète avec sincérité et spontanéité cet homme seul, influencé et influençable, cet Hjalmar mêlant bêtise et attachement. Quant aux autres comédiens, ils excellent tous dans l’art de la tromperie et du camouflage. Une fragilité insouciante est pourtant particulièrement bien exprimée par Suzanne Aubert, cette Hedvig sans vices, cet être sain aveuglé par son amour sans limites.

Théâtre de la Colline

Le Canard sauvage, écrit par Henrik Ibsen, mise en scène de Stéphane Braunschweig

Avec Suzanne Aubert, Christophe Brault, Rodolphe Congé, Claude Duparfait, Luce Mouchel, Charlie Nelson, Thierry Paret, Chloé Réjon

Jusqu’au 15 février 2014

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

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