« Tu veux savoir ce que c’est qu’une demie vie Mathilda ?! Demande-moi »
Pour sa première mise en scène, Isabelle Carré monte « De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites », de Paul Zindel. Le Théâtre de L’Atelier nous propulse en Amérique, dans une famille monoparentale, en 1970. Un trio féminin, respirant de désirs et de névroses. Des femmes qui tentent de sauver ce qui leur reste, sans compter sur l’autre. Cet autre censé être figure d’amour.
L’intérieur de chez Béatrice est à son image. Un petit salon à l’abandon où règne une belle pagaille : piles de journaux, cadavres de bouteilles, vêtements et excréments de lapin jonchent le sol de cette pièce à vivre dans laquelle la mère stagne et dérive. Elle passe son temps entre canettes de bière et cigarettes et se noie dans son désordre, répétant sans cesse qu’elle a raté sa vie et qu’elle méritait mieux. Béatrice aurait souhaité ne jamais grandir pour rester avec son père adoré. Véritable vedette dans son lycée, elle voulait devenir danseuse. Le sort en a voulu autrement et elle a rapidement rencontré le père de ses deux filles, Ruth et Mathilda. Une union soldée par un divorce. Sur la paille, n’ayant aucune formation, elle a choisi de garder de vieux grabataires chez elle pour cinquante dollars par semaine. Son seul revenu.
Les jours défilent et la mère est contrainte d’assister à la jeunesse de ses deux filles qui ont encore la possibilité de réussir. Ruth a la beauté et une réputation de rebelle. Elle incarne le rire et la légèreté. Mathilda est un petit génie des Sciences qui fait des expériences sur des graines de marguerites. Un cerveau brillant que sa mère jalouse et tente de brider en l’empêchant parfois d’aller à l’école. Elle la garde avec elle pour combler sa solitude et pour qu’elle ne s’envole pas trop vite. Elle la prive de liberté et de bonheur pour la punir et lui faire payer son propre échec. Mère froide mais déjantée, elle rabaisse souvent Mathilda en s’attaquant à son physique qu’elle déclare ingrat. Elle survit en se raccrochant à ses mesquineries, à ses souvenirs passés qu’elle partage avec Ruth et à son envie d’ouvrir un salon de thé. Nul espoir de renouveau n’est permis car son destin semble scellé. Béatrice devra se contenter de ce quotidien. La seule possibilité d’entrevoir la reconnaissance qu’elle attend apparaît avec l’annonce d’un concours duquel Mathilda sortira vainqueur. Une cérémonie à laquelle elle ne pourra même pas se rendre à cause de Ruth qui lui fera payer le prix de ses médisances. Apprenant qu’elle est traitée de « bargeot » par la moitié des parents d’élèves, elle se retrouve au fond du gouffre. Elle devient alors une mère stoïque et sans pitié, même face à son enfant sujette aux crises d’épilepsie.
Isabelle Carré défend parfaitement sa nouvelle fonction de metteuse en scène avec une réalisation tonique et entraînante. Les comédiennes, sans cesse en mouvements, soutiennent l’action et créent une ambiance loufoque et amusante. Alice Isaaz est une vraie pile électrique, une comédienne solaire qui dissimule ses angoisses. Lily Taïeb est une Mathilda patiente et introvertie ; une jeune fille dont les pensées sont déjà au milieu de ses champs de marguerites radioactifs. Quant à Isabelle Carré, comme toujours, son naturel et sa spontanéité ressortent. Elle offre à Béatrice un double visage : celui d’une mère perverse mais attachante.
Texte: Paul Zindel – Mise en scène : Isabelle Carré
Jusqu’au 6 février 2016
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