Les Damnés, d’aprés Visconti par Ivo van Hove au Festival d’Avignon

Ivo van Hove, ouvre la 70ème édition du Festival d’Avignon et transforme la Cour d’honneur du Palais des Papes en un monde dénué de toute envie de vivre. Il nous plonge violemment, avec la troupe de la Comédie-Française, dans l’univers des Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti.

Fiction ou reflet de notre réalité ? Il semblerait que l’accent soit mis sur le pouvoir et la montée en puissance du nazisme, au sein d’une famille qui devra assumer les conséquences de leur avidité à tout gouverner. Certains se transformeront en tueurs, d’autres seront les victimes d’un système qui les poignardera dans le dos. Ce qui est certain c’est qu’une instrumentalisation et une idéologie prendront place, renvoyant aux manipulations actuelles. Tuer sans raison, au nom de certitudes faussées et créer un monde qui court à sa perte. Spectateurs, nous sommes les témoins de la montée d’un nazisme qui résonne différemment aujourd’hui mais qui, sous une autre forme, détruit toujours. La moralité est interrogée et les influences se renversent pour montrer toute l’horreur provoquée par les intérêts économiques.

Les damnés

@Arnold Jerocki
Ivo von Hove se retrouve face à un défi de taille : l’immensité de cette scène d’honneur. Une surface audacieuse qu’il occupe avec intelligence et équilibre. Le plateau est divisé en plusieurs espaces afin d’instaurer des rituels et de la rigueur. A jardin, des postes de maquillage permettent d’opérer les transformations. Des canapés symbolisent l’inceste et l’érotisme. A cour, une rangée de cercueils accueillera les morts et créera une cérémonie du deuil très pertinente qui fera durer la violence jusqu’au bout du souffle ultime. Au milieu, la scène est recouverte d’un tapis orange, sorte de ring enflammé, espace du drame où se dessinent les instants d’intimité et les confrontations entre les personnages. Au-dessus, trône un écran, reflet de tout ce qui se déroule sur scène, avec des plans et des axes différents. Il s’agit d’une loupe, d’un focus qui permet d’approcher au maximum les membres de cette famille. Les images créaient des histoires parallèles et multiplient les actions au même moment. Rivalités, secrets et manipulations implosent. Des extraits de documentaires historiques sont projetés et insistent sur la dureté du contexte. Un écran qui nous renvoie aussi à nous-mêmes, en nous filmant comme témoins, toujours actuels, de cette horreur et de ces trafics immoraux. Le spectateur est inclue dans cette damnation. Néanmoins, l’usage de cette vidéo est abusif. Dans un cadre aussi majestueux et vaste que celui de la Cour d’honneur, notre œil se focalise trop sur l’écran, plus visible, à défaut des personnages. L’intérêt reste dans une superposition d’images qui retracent les évènements politiques de jadis et nous rendent compte de la folie de cet engrenage. Un contexte de guerre accentué par une musique live qui oscille entre compositeurs classiques et connotés : Bach, Schütz, Strauss ; et du rock métal allemand. Une manière de contribuer à l’excitation qui règne sur scène.

les damnés

@ Anne-Christine Poujoulat/ AFP

Comme à son habitude, Ivo von Hove est un metteur en scène adroit et téméraire. Chacune de ses créations est brillante, ses partis pris judicieux et ses réflexions pénétrantes. Il parvient à occuper avec rythme, cet endroit mythique. Malgré l’étendue spatiale, il n’y a aucune longueur ou retombée. Il injecte de l’intimité dans l’immensité et nous immisce au cœur de la monstruosité. Les visages se dessinent, les destins se révèlent et les plus forts ne sortiront pas vainqueurs.

Il offre, des années plus tard, le Palais des Papes à la troupe de la Comédie-Française et amène ces acteurs, brillants, mais souvent trop académiques, dans des zones plus osées. Les comédiens du Français prennent un nouveau tournant, plus sauvage, davantage pulsionnel et sombre. Un vent inhabituel souffle sur leur maison et nous leurs découvrons une liberté étonnante. Christophe Montenez est la belle surprise de ce spectacle. Il interprète Martin von Essenbeck de manière surprenante et puissante. Pervers fou, aux prédilections homosexuelles et pédophiles, il est le pantin de sa mère la Baronne von Essenbeck. Un jeune homme perturbé, un monstre touchant qui semble inoffensif. Le seul à se moquer de ses intérêts personnels et à faire éclater les vérités sans scrupules. Il s’opposera à Friederich Bruckmann, une figure d’autorité, amant de sa mère, déclenchant des crises. Il est le parfait exemple de l’endoctrinement abusif et la dernière image de la pièce, qu’il compose avec simplicité, est d’une violence sans nom, mais tant signifiante. Des machines de guerre naissent tous les jours… A ses côtés, Denis Podalydès est un Baron Konstantin von Essenbeck détestable et répugnant, symbole des orgies ridicules de l’époque. Guillaume Gallienne interprète Friedrich Bruckmann passant d’une fragilité légère à une main de fer avide. Elsa Lepoivre, la mère de Martin, femme de tête, contrôlant tout sur son passage, terminera lynchée et humiliée. Quant à Adeline d’Hermy, ou encore Loïc Corbery et Didier Sandre, ils nous touchent par leur sensibilité et leur bonté, des sentiments qui n’ont plus leur place dans ce nouveau système condamné aux peines de l’enfer.

A la rentrée à la Comédie-Française

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *